jeudi , 21 novembre 2024

La vie sauvage

Auteur: Thomas Gunzig

Editeur: Au Diable Vauvert – 2017 (324 pages)

Lu en novembre 2021

Mon avis: La vie sauvage, c’est celle de Charles, seul survivant, alors qu’il n’était qu’un bébé, d’un crash aérien quelque part au-dessus de la jungle africaine. Recueilli par un groupe d’hommes armés en guerre perpétuelle, tantôt victimes, tantôt bourreaux, contre une autre bande, une autre milice, tribu ou ethnie, il grandit sous l’aile de Cul-Nu, son père adoptif à l’immense culture générale, féru de littérature et de poésie. Elevé au milieu des mots de Verlaine, de Baudelaire ou de l’Encyclopédie, Charles l’enfant sauvage est aussi témoin de la cruauté des hommes dans ce coin du monde oublié de la civilisation.

Oublié ? C’est sans compter sur Google Maps qui, par le plus grand des hasards et le miracle de la technologie, permet à la famille de Charles de le retrouver le jour de ses 16 ans. Et de l’arracher à Septembre, la jeune fille dont il est éperdument amoureux, et à leur vie sauvage, pour le rapatrier vers sa ville natale, une bourgade du nord de l’Europe, et vers la civilisation.

La civilisation, vraiment ? Sérieusement ?

Charles découvre une ville morne, un climat gris et glacial, un oncle et une tante qui ne savent pas quoi faire de lui, deux cousins adolescents mal dans leur peau, la superficialité de ses camarades d’école, l’incompétence ou l’indifférence de ses professeurs, des psychologues et des adultes en général.

Rien ni personne ne trouve grâce aux yeux de Charles, en colère, en rage, qui hait cet endroit et ces gens de toute son âme, et qui n’a qu’une idée en tête, retourner en Afrique pour retrouver Septembre. Mais pour mener son plan à bien, il comprend vite qu’il a intérêt à faire profil bas et à faire semblant de s’adapter et de s’intégrer.

La « vie sauvage » n’est donc peut-être pas celle qu’on croit ou, à tout le moins, ce roman-conte-fable veut montrer que la vie « civilisée », d’une façon plus sournoise ou insidieuse, peut, elle aussi, être cruelle et traumatisante. Ici le trait est certes forcé, c’est plein de clichés, d’invraisemblances et de personnages caricaturaux. Ca ridiculise les adolescents, dépeints comme décérébrés, futiles, amorphes, moutons, « loosers » ou « cools », accros aux réseaux sociaux et obnubilés par le nombre de « like » récolté à chaque publication. Ca flingue les adultes, qui cachent à peine mieux leur superficialité et leur vide existentiel abyssal sous un vernis de bourgeoisie et d’aisance financière. Ca vitriole le système éducatif encroûté et inadapté, ça dézingue la faiblesse des femmes quadras en mal d’amour, le clientélisme politique et les gourous du développement personnel.

Ecrit à hauteur d’adolescence (au ton parfois potache, parfois condescendant), « La vie sauvage » est surtout une charge féroce contre les adultes coincés dans leurs vies étriquées et vaines, incapables d’offrir d’autres perspectives à la génération suivante. C’est aussi une réflexion cruelle sur le sens de la vie et le vide de l’existence, celui qu’on peut ressentir (ou pas) plus ou moins consciemment à l’adolescence, et qui renvoie peut-être, parfois (ou pas), douloureusement au gâchis de nos propres vies.

Comme dans ses chroniques à la radio*, l’auteur a le ton acerbe, le sens de la formule et de la métaphore. Il livre un conte sombre, immoral et absurde, bourré d’humour noir et éclairé de poésie.

Et d’espoir, puisqu’au final certains des camarades de Charles trouveront peut-être une autre voie.

Et d’amour, puisqu’au final il n’y a peut-être que cela qui compte.

* « La plume de Gunzig », sur La Première (RTBF)

#LisezVousLeBelge

Présentation par l’éditeur:

Bébé rescapé d’un accident d’avion, Charles grandit dans la jungle africaine.
Retrouvé par hasard le jour de ses seize ans et ramené à sa famille, il va découvrir les misères de la civilisation dans une petite ville du nord de l’Europe. La rage au ventre, il mettra tout en œuvre pour retourner d’où il vient et où l’attend l’amour de sa vie.
Un magnifique roman d’amour, classique et drôle, lyrique et cruel, sombre et optimiste.

Une citation: 

– Lui faire croire qu’elle était quelqu’un d’unique était la chose la plus simple qui soit: c’était exactement l’histoire que tous les professionnels du marketing lui racontaient depuis la plus haute antiquité de sa vie. Toutes les minuscules forces de son esprit étaient programmées pour y croire et même si, tout au fond d’elle, subsistait peut-être la microscopique intuition d’être profondément inutile, cette intuition était si insupportable qu’elle était prête à croire à n’importe quel discours lui disant le contraire.

Evaluation :

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