mardi , 8 octobre 2024

Le banquier, la belette et le petit bédouin

Auteur: Luc Debieuvre

Editeur: Riveneuve – 2014 (192 pages)

Lu en juin 2014

le banquier la beletteMon avis: Voilà un titre qui n’aurait sans doute pas déplu à La Fontaine. Avec ces trois personnages, il y a largement matière à fabuler.
Voyez donc : rien qu’avec les banquiers, la probabilité de rencontrer des baratineurs de première catégorie face auxquels des arracheurs de dents passeraient pour de pieux menteurs est presque aussi élevée que l’amende récemment infligée à BNP Paribas par le Trésor américain. Mais foin de démagogie ici, hein, après tout, ces pauvres banquiers ont subi la crise financière de plein fouet et ont dû faire beaucoup d’efforts pour sauver leurs fesses, à défaut de sauver l’épargne de leurs clients. Mais je m’égare.
Et donc, revenons à nos moutons, ou plutôt à notre belette : là, on pense plutôt à quelque chose de gentil, genre les Contes du Chat Perché ou ceux de Ma Mère l’Oye. Encore que la belette soit un mammifère carnassier, ce en quoi elle aurait un point commun avec la catégorie précédente. Mais à la décharge de la belette, si elle est carnassière, elle, c’est pour se nourrir, pas pour s’enrichir.
Et puis enfin, le petit bédouin évoque bien sûr les contes des griots d’Afrique et autres terres ensablées d’Orient.
Mais le livre, dans tout ça ? Comment met-il en scène ces trois personnages ? Commençons par le plus simple : le banquier est facile à identifier, c’est François. Difficile pourtant d’en faire un personnage principal. Spectateur plutôt qu’acteur, plus ou moins innocent, plus ou moins irresponsable, plus ou moins passif, il tient donc admirablement son rôle de banquier. le livre relate quelques épisodes de sa vie et de sa carrière (qui ne font qu’un, à une époque où il était encore possible de travailler toute sa vie pour la même boîte) : distribution clandestine de tracts anti-communistes à Dubrovnik alors que le Rideau de Fer n’est pas encore relevé (un vrai héros), règlement de compte mortel au sein de la banque (spectateur), cocktails chez l’ambassadeur (pique-assiette désoeuvré), magouilles immobilières en Italie (impuissant, c’est la faute de la mafia), mirage des missions économiques dans les Emirats (ventilateur. Vous savez, le truc qui remue beaucoup d’air…). Voilà la transition : qui dit Emirats, dit désert, et donc bédouin. Et donc aussi pétrodollars. Malgré le titre condescendant (« petit » bédouin), les entubages à coup de pipe-lines sont réciproques entre Français et Bahtaris*.
On nous parle aussi beaucoup du Liban, mais je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas trouvé la belette non plus. Donc quelque chose a dû m’échapper dans cette histoire. Pendant un moment, on croit que l’auteur veut dénoncer à tour de bras et avec une certaine férocité les dérives de la haute finance, la légèreté de la diplomatie, les centres commerciaux (Temples dédiés à la Déesse Consommation – notez l’originalité), les licenciements de cadres non rentables, la frivolité des riches, la mesquinerie, l’égoïsme et les bassesses de tout ce petit monde. Ce n’est pas joli-joli.
Oui mais quoi ? L’auteur dénonce, et pourtant il est issu de ce milieu et semble loin d’en avoir claqué la porte, si on en croit sa bio sur la 4ème de couverture. D’ailleurs la fin du livre montre une certaine nostalgie de la grande époque de la « noblesse » de la Diplomatie et de la Grande Banque à la française. Alors c’est moi qui n’ai rien compris (c’est fort possible), ou bien il y a de la schizophrénie ou de l’aveuglement dans l’air ?
Et que dire de la fin, où on suit un François vieillissant, retraité « forcé », pathétique et crevant d’ennui, qui un beau jour croise un SDF dans les beaux quartiers (Ciel !). C’est une révélation : la pauvreté existe ! Et lui qui toute sa vie a vécu dans l’aisance se sent soudainement coupable : « Il rejoint son univers à lui ; celui qu’il avait construit. Certes, en se donnant du mal, en respectant ses valeurs, en se moulant dans la main avec laquelle son Dieu réalisait son projet. Mais il avait laissé sur le bord une brebis égarée ». Encore un peu, et tout ça est la faute du Bon Dieu.
Grand classique : la peur de la mort fait espérer en une vie dans l’au-delà, et on se rappelle soudain qu’on a été croyant. Bon sang mais c’est bien sûr, voilà de quoi se sauver à bon compte !
Pardonnez-moi, mais l’agonie de ce nouveau « saint » François est à mourir de rire : on appelle Saint-Augustin, Saint-Jacques et Saint-Paul à la rescousse, au son des Stabat Mater, Dies Irae et autres grandes musiques pour un enterrement (« enciellement » !) de premier de la classe.
Et la morale de cette histoire ? un sommet d’hypocrisie : « La charité…Tout était là. (…) La foi, l’espérance et la charité, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité. Et si désormais, l’on s’y essayait vraiment ? »
Une fable, vous disais-je…

Merci à Masse Critique et aux éditions Riveneuve.

*Pour ceux pas très au fait de la géopolitique du Moyen-Orient, c’est la contraction de Bahreïn et Qatar. Il y a d’ailleurs d’autres allusions pseudo-comiques : supermarchés « Croisement » et « En ville », et sans doute d’autres noms propres détournés que moi, petite Belge, je n’ai su identifier faute de culture franco-française.

Présentation par l’éditeur:

« Vous le connaissiez ? Lui demanda Jeanne. Nicolas s’était arrêté net devant l’affiche d’un auteur inconnu, dont la librairie L’écume des pages annonçait que la fille viendrait prochainement dédicacer l’ouvrage posthume… » L’occasion est alors donnée de plonger dans la vie aventureuse de François, banquier passé des quartiers chics de Saint Germain-des-Prés et du boulevard Haussmann aux sables mouvants du mythique Bahtar ou à la corniche de Beyrouth, fascinante de beauté suicidaire. On y croise toute une faune de personnages hauts en couleurs, banquiers, syndicalistes, diplomates, expatriés, faux amis et vrais médiocres, dont le portrait est dressé ici avec un humour féroce.

Roman policier, roman à clés, autofiction, manuel d’introduction à l’Orient compliqué, autant de fables qui n’en font qu’une dans cet ouvrage « très renseigné » et qui se lit d’une seule traite.

Evaluation :

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Un commentaire

  1. Je n’irai pas faire un tour de ce côté-là. Je n’aime pas les auteurs qui font semblant de dénigrer leur milieu. Par contre, j’aime beaucoup tes égarements financiers…