Auteur: Joseph Conrad
Editeur: Le Livre de Poche – 2012 (216 pages)
Lu en avril 2024
Mon avis: Congo, fin du 19ème siècle. Le pays n’est pas encore une colonie belge, mais la propriété personnelle du roi Léopold II, qui en exploite les ressources, surtout l’ivoire.
Le capitaine Marlow (alter ego de Conrad), jeune marin anglais tenté par l’aventure africaine, débarque en Afrique équatoriale pour prendre le commandement d’un vieux vapeur branlant dont le capitaine est décédé récemment. Marlow est chargé de remonter le fleuve Congo pour aller récupérer un certain Kurtz, responsable d’un comptoir à Stanley Falls et grand pourvoyeur d’ivoire aux méthodes supposément immorales.
Marlow est fasciné par ce qu’il apprend sur ce personnage, dont on lui parle beaucoup mais qu’au final il verra et entendra fort peu, puisque l’homme est moribond quand il le retrouve enfin : un parfait gentleman, cultivé, intelligent, artiste à ses heures mais qui, au contact de cette terre africaine, de ses habitants, de sa nature sauvage et luxuriante et de son climat implacable, n’aurait plus écouté que sa cupidité et son obsession pour l’ivoire, et aurait tombé le masque de la civilisation pour basculer dans une sauvagerie absolue.
Tout au long de son périple, Marlow est envahi de sentiments troubles, contradictoires. Il perçoit tour à tour la jungle qui borde le fleuve comme un refuge maternel, matriciel mais, le plus souvent, comme un monde de dangers et de ténèbres. Marlow est constamment assailli par une sensation d’étrangeté et de mystère, enveloppé au propre et au figuré par la brume qui sourd tant de l’eau et de la forêt que de son esprit tourmenté. Et quand par moments le flou se dissipe, il est aveuglé par un soleil écrasant ou une nuit infernale.
Ce roman dénonce la domination de l’Homme Blanc dit « civilisé » sur le « sauvage », l’appropriation, l’exploitation et la spoliation des richesses d’un pays sans la moindre considération pour sa population, sauf dans la mesure où elle peut servir de main-d’œuvre, et qui à ce titre subit des cruautés sans nom.
Marlow/Conrad remonte le Congo tout autant qu’il remonte le cours de l’âme humaine pour tenter de comprendre ce qu’elle comporte de part sombre, et pourquoi et comment cette obscurité, chez certains, se révèle au grand jour.
Un roman sombre, envoûtant, fascinant, oppressant, qui n’explique pas tous les événements ou comportements. Ce mystère, ces incertitudes, sont inconfortables pour le lecteur, comme ils l’ont sans doute été pour Marlow/Conrad. Ce dernier ne s’est pas lancé dans d’hypothétiques explications, pressentant probablement que la vie, l’âme ne seront jamais entièrement explicables. Savoir qu’on ne sait pas, un signe de l’intelligence et de la sagesse qui caractérisent ce roman très riche, à lire et à relire.
Présentation par l’éditeur:
Le Cœur des ténèbres s’inspire d’un épisode de la vie de Conrad en 1890 dans l’État libre du Congo mis en coupe réglée au profit de Léopold II. De cette expérience amère, l’écrivain a tiré un récit enchâssé dont chaque élément, à la façon des poupées russes, dissimule une autre réalité : la Tamise annonce le Congo, le yawl de croisière la Nellie le vapeur cabossé de Marlow, truchement de Conrad. Ces changements d’identité sont favorisés par les éclairages instables au coucher du soleil ou par le brouillard qui modifie tous les repères et dont émerge Kurtz. Présenté par de nombreux personnages bien avant d’entrer en scène, celui-ci fait voler en éclats toutes les définitions et finit par incarner le cœur énigmatique des ténèbres : le lieu où se rencontrent l’abjection la plus absolue et l’idéalisme le plus haut.