Editeur: Métailié – 2007 (492 pages)
Lu en janvier 2017
Mon avis: Le tango, c’est l’expression verticale d’un désir horizontal.* Le tango est une pensée triste qui se danse.**
Le roman d’Elsa Osorio illustre à merveille ces deux citations.
Le tango, cette musique déchirante, parcourue d’une tension dramatique qui vous remue les tripes et vous fait briller les yeux, cette danse à la fois calme et enfiévrée, fière, provocante et détachée, pendant laquelle les partenaires ne se regardent pas et où l’homme guide la femme par les seules indications de sa main dans son dos.
Une musique et une danse scandaleuses, nées d’influences africaine et européenne dans les bordels de Buenos Aires à la fin du 19ème siècle, interdites d’entrée dans les salons des honnêtes gens, mais que ces messieurs de la bonne société ne se privaient pas d’aller danser dans les tripots malfamés, s’encanaillant avec des demoiselles à la moralité douteuse, au milieu des marins, des bandits et du « petit peuple ». Il aura fallu que le tango émigre à Paris avec quelques Argentins, qu’il y devienne une mode au début du 20ème siècle, y soit codifié et un peu assagi avec des figures plus décentes (« tango liso »), puis qu’il rentre au pays lorsque éclate la Première Guerre Mondiale, pour lentement gagner ses quartiers de noblesse et être peu à peu admis dans les cercles mondains.
C’est toute l’histoire de ce tango d’avant Piazzolla qui est retracée dans ce livre, étroitement liée à celle de deux familles aux multiples rejetons, qui, sur quatre générations et au-delà de la mort, ne cesseront de se croiser et de se perdre de vue, de s’aimer et de se déchirer entre Buenos Aires, Paris et même depuis le paradis du tango (« Cielo de tango », le titre original). Des personnages, des amours, des destins à l’image des mouvements du tango, tumultueux, sulfureux, passionnels, excessifs, contrariés, interdits, presque impossibles. Des liens qui se créent et se dénouent avec en toile de fond l’histoire non moins mouvementée de l’Argentine, patrie de millions d’immigrants européens en quête d’Eldorado, soumise aux soubresauts des luttes sociales dans la démocratie du début du siècle, puis des coups d’Etat et des dictatures dès 1931, et des aberrations politico-financières des années 1990-2000.
Entrer dans ce roman, c’est comme un premier cours de tango : un peu complexe, beaucoup de choses à assimiler, un peu rébarbatif quand vous avez un partenaire débutant comme vous, qui vous guide mal. Il faut passer le cap des nombreux personnages, des brusques changements de point de vue, s’habituer au style échevelé. Puis après quelques pages, le charme opère, c’est comme si vous dansiez avec le professeur : le livre vous prend dans son « abrazo » et tout à coup vous comprenez toutes les indications, les changements de direction, vous suivez les « voleos » et les « ochos » qui s’enchaînent, plus besoin de réfléchir gauche ou droite, un-deux-trois, tout est fluide, ça y est, vous vous êtes laissé emporter par Tango…
*Angela Rippon
** Enrique Santos Discépolo
Présentation par l’éditeur:
A Paris, au Latina on danse le tango. Luis invite Ana à danser. Elle est française et elle aime le tango avec passion. Il est argentin de passage à Paris pour une dernière tentative d’échapper à une crise économique et psychologique. Un projet de film sur le tango va les réunir.
Tango recrée l’histoire d’une ville et d’une musique à travers la saga de deux familles, aux deux bouts de l’échelle sociale, une intrigue sans faille, des personnages attachants et hauts en couleur pour une œuvre littéraire forte où le fantastique revendique la force vitale de l’amour et de la danse. Un cocktail explosif d’amours, de luttes, de joies et de trahisons, et une danse dangereuse et sensuelle qui les réunit en une étreinte.
Avec l’élégance d’une bonne danseuse, Elsa Osorio change de temps, de narrateur, d’espace comme on change de cavalier, et son écriture communique au lecteur le vertige de la danse, l’ivresse de la musique mêlée à la sensualité et au mouvement.
Une citation:
– Les relations par Internet sont curieuses, peut-être parce que dans l’intimité de son chez-soi, par l’intermédiaire de l’ordinateur, les mots tissent une trame de complicités qui engendre l’illusion de tout connaître de l’autre, et lorsque les deux corps apparaissent, quand ils se voient, ce sont de complets inconnus.
Celui-là, je le note. Le sujet comme ton ressenti m’attirent beaucoup. Et c’est vrai que c’est une danse que j’aime observer quand l’occasion se présente : les gestes, les pas parfois militaires, parfois sensuels de rejet comme d’attirance racontent une histoire, et la musique est comme une enveloppe charnelle.
c’est tout à fait ça!
Je me le note mais pas pour tout de suite.