jeudi , 25 juillet 2024

Texte-à-moi #10: Je vous écris (1)

Monsieur le Directeur Général,

Tout d’abord, veuillez m’excusez de vous contacter par écrit.

Je sais que vous n’aimez pas les longs courriers, vous avez la réputation de les lire en diagonale avant de sauter à la conclusion pour en saisir le sujet.

Je sais aussi que votre temps est précieux, et que vous n’en avez pas à perdre à lire les épanchements de petits employés comme moi, qu’au demeurant vous connaissez à peine.

Nous ne nous sommes rencontrés qu’une seule fois, c’était il y a quelques semaines, et je doute fort que vous vous souveniez de moi et de ce que j’ai pu vous dire.

Cependant, il s’agit de moi, ici, et j’ai donc choisi de m’adresser à vous de la façon qui me convient, à moi.

Vous auriez sans doute préféré que je vienne vous parler dans votre bureau (il paraît que « votre porte est toujours ouverte »), histoire de faire semblant de m’écouter et de m’expédier vite fait d’un « oui oui, je vous comprends, on va arranger ça ». Mais nous savons tous les deux que rien ne se serait arrangé.

Bien sûr, je n’espère pas que cette lettre modifiera ma situation, ni l’opinion, ou plutôt, l’absence d’opinion, que vous avez de moi. Cependant, à nouveau, il s’agit de moi, ici, et c’est moi qui décide – pour une fois.

Rassurez-vous, ce sera la seule fois, cette lettre est la première et la dernière que je vous envoie, c’est pourquoi je vais me permettre (ou plutôt, je vais enfin m’autoriser) à vous renvoyer le mépris que vous témoignez depuis si longtemps aux petits employés comme moi, sans lesquels, pourtant, vous n’existeriez pas, en tout cas pas en tant que Directeur Général. Car vous n’avez pas la moindre idée de qui nous sommes, de qui je suis, de ce que je fais ou pas pour votre entreprise depuis que j’ai commencé à y travailler il y a plus de 15 ans, et cela me devient insupportable.

Je vous imagine – à supposer que vous lisiez vraiment ces lignes – un sourcil levé, vous demandant de quoi cette Madame X ou Y veut-elle parler. Vos yeux se précipiteront ensuite sur le dernier paragraphe de cette lettre, et vous n’y verriez que le mot « démission ». Vous jetteriez alors le courrier sur votre bureau et appelleriez le responsable des ressources humaines pour qu’il recrute quelqu’un pour me remplacer.

C’est exactement ce mépris que je vous reproche, Monsieur le Directeur Général, celui qui vous amène à nous considérer comme une « ressource », comme si nous étions du pétrole, un métal précieux ou rare. Comme quelque chose qui a de la valeur, certes, mais comme une chose, indistincte et dépersonnalisée.

Je suis bien consciente de l’inutilité de cette lettre, mais j’estime ne pas avoir à justifier davantage ma démarche. De toute façon vous ne comprendriez pas.

Je ne vous prie pas d’agréer, Monsieur le Directeur Général, mes salutations définitives.

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