mardi , 19 mars 2024

Texte-à-moi #11: Visages (3)

C’était dimanche, et pourtant je m’étais levée tôt. Ce n’était pas la première fois, avec des amis nous avions l’habitude de partir à l’heure où d’autres font la grasse matinée, pour aller randonner toute la journée au fin fond des Ardennes.

Ce jour-là, c’était un peu différent. Sur les huit personnes présentes, je n’en connaissais que deux. Les autres étaient des amis de mes amis. Ca m’inquiétait un peu, comment seraient-ils, sympas, distants, qu’est-ce que j’allais bien pouvoir leur raconter, trouverait-on quelque chose à se dire ? C’est long, une journée.

Mes deux amis, qui sont très sociables, eux, m’avaient dit que ces gens étaient chouettes, et je comptais sur eux pour assurer la conversation. Et puis, je pourrais me contenter de répondre quand on me poserait une question, et de rire quand quelqu’un raconterait une blague, cela devrait suffire, quitte à passer pour une timide ou une taiseuse, rien de nouveau sous le soleil. Et puis après tout, est-il nécessaire de parler tout le temps ? En plus, ce qui est pratique avec la marche, c’est qu’on ne se sent pas obligé de regarder l’autre dans les yeux.

J’arrive au lieu de rendez-vous, on fait les présentations, ouf, c’est vrai qu’ils ont l’air sympa, et nous voilà partis.

Pendant la matinée, j’écoute, j’observe, je me tais la plupart du temps.

Arrive la pause de midi, on se trouve un endroit pour pique-niquer dans une clairière, assis sur des troncs d’arbres. L’une de mes nouvelles connaissances m’adresse la parole, une question anodine : « Et toi, tu fais quoi comme boulot ? » Je lui réponds sans lever le nez de ma boîte à tartines. Je me dis qu’il ne supporte pas le silence, ou qu’il veut juste être poli et qu’au fond il s’en fiche, de toute façon ce que je fais n’intéresse personne.

Pourtant il a l’air de vouloir en savoir davantage, parce qu’il continue à me poser des questions. Sérieux, ça l’intéresse vraiment ?

Au fur et à mesure de ce qui commence à ressembler à une conversation, je quitte mon Tupperware des yeux et je relève la tête, pour observer mon interlocuteur. Et je le vois qui me regarde. Qui me regarde vraiment, et pas comme s’il regardait à travers moi. C’est une sensation tellement bizarre pour moi que je dois me retenir de me retourner pour vérifier qu’en réalité il ne s’adresse pas à quelqu’un qui se trouverait derrière moi.

Mais je sais parfaitement qu’il n’y a personne derrière moi.

Donc c’est moi qu’il regarde. Rien d’extraordinaire sans doute, puisqu’on discute ensemble, mais ça me fait drôle. Son visage n’exprime pourtant rien de particulier, je n’y distingue pas d’attirance, de moquerie, de désir, d’ennui ou même de curiosité. Mais je sens qu’il m’écoute et me regarde avec attention.

Un de ces regards qui vous rendent visible.

Voir aussi

Texte-à-moi #14: Dans le bus

16 heures et quelques, le bus arrive, déjà bondé. C’est un bus d’une société de …

2 commentaires

  1. Très chouette ! Je ne sais pas si c’est un moment autobiographique mais on y est, avec toi, et on est content, comme lecteur, que tu sois vue.