mardi , 19 mars 2024

Un monde pour Julius

Auteur: Alfredo Bryce-Echenique

Editeur: Métailié – 2003 (502 pages)

Lu en novembre 2014

en monde pour juliusMon avis: Il me revient la responsabilité de publier la première chronique de ce livre sur Babelio. Chose d’autant plus délicate que cette lecture a été pour moi un vrai gros coup de coeur comme il n’en arrive pas assez, et que je me sens donc investie de la mission de vous donner envie de le lire.
Mes chers amis, laissez-moi d’abord vous dire qu’il est fort dommage que cet auteur péruvien ne soit pas mieux connu dans nos contrées. Evidemment mon avis n’est pas indispensable à faire tourner la planète littéraire, mais sachez cependant que le Maître Gabriel Garcia Marquez lui-même tient Un monde pour Julius pour le meilleur roman sud-américain jamais écrit. Sous ce haut patronage, et en prenant ma plus belle plume d’oie, il me faut maintenant vous convaincre que ce roman d’Alfredo Bryce-Echenique (son premier) est un chef-d’oeuvre.
Commençons par Julius. Petit bonhomme de 5 ans au début du livre, né dans une richissime famille de la haute société liménienne des années 70, Julius a deux frères et une soeur, tous plus âgés. Son père est mort quand Julius était tout petit. Solitaire, il grandit livré à lui-même par une mère futile, jolie, adulée, qui doit gérer un tas de mondanités. Pendant que ses frères et soeur sont à l’école, Julius passe son temps à jouer avec les domestiques dans l’immense palais de la famille.
Au fil des 500 pages, nous suivrons l’enfance de Julius, jusqu’à ses onze ans. Nous le verrons réagir à la mort de Cinthia, sa soeur adorée, au remariage de sa mère avec Juan, (très) riche homme d’affaires, qui n’a que mépris pour tout ce qui n’est pas beau, bourgeois, luxueux et viril. Nous le suivrons, un peu plus tard, côtoyer ses nouveaux camarades d’école, pas tous riches, et surtout les domestiques, tous pauvres.
Et c’est là qu’on s’interroge sur le titre, Un monde pour Julius. Mais quel monde ? Julius appartient à celui des privilégiés, et on attend de lui qu’il se fonde dans le moule, qu’il s’y adapte sans crier gare. Mais Julius, enfant sensible, comprend que les choses ne sont pas aussi simples. Il voit bien que ses frères, sa mère et son beau-père le délaissent, et que ce sont les domestiques qui lui portent une véritable affection. Il se rend bien compte aussi des injustices faites à Vilma, sa nourrice, ou à Cano, son copain d’école boursier. Il perçoit les différences entre ceux qui voyagent en avion et ceux qui vont à pied, entre ceux qui parlent un espagnol pur et ceux qui baragouinent tout juste le dialecte de leurs montagnes, entre ceux qui jettent argent et nourriture par les fenêtres, et ceux qui mendient. Julius est confronté à deux univers, l’un où les garden-parties succèdent aux cocktails et beuveries de luxe entre gens de compagnie aussi vaine que vaniteuse, et l’autre où on fait un festin d’un reste de ragoût laissé par les maîtres.
Eternel sujet que celui des différences de classes sociales, l’opposition est ici exacerbée jusque dans les formes de langages, entre les riches, blancs et instruits, et les pauvres, ignorants descendus de leur Cordillère pour être exploités par les premiers. Alors certes, il ne se passe pas grand-chose dans ce pavé, que le quotidien des uns et des autres, de deux mondes séparés par un mur de privilèges, que le malheur frappe pourtant sans distinction : deuils, peines de coeur, vieillesse, maladie. Mais c’est tellement bien écrit, à hauteur d’enfant, c’est mordant, moqueur, intelligent, puissant, drôle, triste, cruel, brillant. Ca serre le coeur, ça fait rire aux larmes, ça critique à l’acide la classe huppée péruvienne. Le style pourrait rebuter par moments, en raison des longs monologues intérieurs, qui relèvent de la technique du « stream of consciousness » (courant de conscience). Mais c’est si savoureux, le petit Julius est tellement touchant dans sa solitude que j’ai eu envie d’être sa grande soeur… Je me demande quel monde il aurait choisi, une fois adulte…
J’ai été bien longue, et je pourrais encore écrire des pages, mais assez causé… J’espère avoir réussi à vous pousser à le découvrir (en espagnol si vous pouvez)…

Présentation par l’éditeur:

Julius est un petit garçon avec de grandes oreilles qui fait le douloureux apprentissage du monde que les siens lui destinent. Pour Julius, ce monde, habité par la mort de sa sœur aînée Cinthia, c’est d’abord sa mère, délicieusement futile et adorée de tous; c’est cette famille de richissimes hommes d’affaires péruviens et de parvenus ridicules, avec, en contrepoint, des domestiques attentifs et dévoués. C’est la ville de Lima, avec ses splendeurs oligarchiques et ses zones de misère, dans l’admirable vision précise et stratifiée de l’auteur Le naufrage d’une enfance qui découvre et la fêlure initiale de la mort et le scandale de l’injustice sociale, débouche finalement sur la solitude.

Une citation:

– « Susan embrassa Julius [son fils de 10 ans, après une séparation de plusieurs semaines] et lui dit qu’elle s’était beaucoup languie de lui. Elle était menteuse mais aussi bien gentille, car à peine venait-elle de lui dire cela qu’elle s’aperçut qu’elle n’avait même pas pensé à lui et qu’elle n’avait rien senti en lui disant qu’elle s’était beaucoup languie de lui. Alors elle s’approcha de lui à nouveau et l’embrassa très tendrement en lui répétant qu’elle s’était beaucoup languie de lui, et cette fois elle fondit d’amour et put enfin rester tranquille ». 

Evaluation :

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2 commentaires

  1. Très belle critique qui donne envie de découvrir ce livre !