samedi , 7 septembre 2024

Des chrysanthèmes jaunes

Auteur: Rafael Reig

Éditeur: Métailié – 11 février 2021 (352 pages)

Lu en février 2021

Mon avis: En 1975 à Madrid, Pedrito Ochoa a une douzaine d’années. Cela fait un bail qu’il grandit dans un orphelinat de bonnes sœurs, sans trop savoir ce qui est arrivé à ses parents. Sans doute des communistes, emprisonnés ou exécutés par le régime franquiste. En ces temps-là, peu lui importe, de toute façon. Ce qui compte, c’est sa bande de copains. De la mauvaise graine qui va forcément mal tourner, c’est en tout cas ce que répètent à l’envi les religieuses (aux comportements sexuels pas toujours catholiques d’ailleurs), au point que Pedrito et ses amis ont intégré ce credo, convaincus que « les branlettes et la prison, la désolation et le confinement, la splendeur et la solitude étaient notre destin naturel, comme le pronostiquaient les bonnes sœurs ; nous répondions à l’appel d’un sang obscur, insistant et lointain« .

Et pourtant, en cet an de grâce 1975, Franco meurt, ce qui va radicalement changé la vie de Pedrito. Ses grands-parents maternels se rappellent tout à coup de ce « fils de communiste ». Ils décident de le reprendre chez eux et de lui offrir un « Grand Avenir » petit-bourgeois. Et Pedrito de se retrouver désormais, non plus avec l’ivraie, mais avec le bon grain des « gens charmants », même s’il n’oubliera jamais ses amis de l’orphelinat. C’est à ce moment-là qu’il décide de devenir richissime, quoi qu’il lui en coûte.

L’histoire est racontée par Pedrito lui-même, de nos jours, alors qu’il a passé la cinquantaine et se trouve mêlé à une enquête policière. Son récit va et vient dans le temps, alternant enfance, adolescence et âge adulte, et il n’est pas toujours simple de se repérer dans ces sauts de chronologie. Roman d’apprentissage, le texte balaie aussi les soubresauts de l’histoire espagnole récente, de la fin du franquisme à la Movida en passant par la Transition démocratique et le « destape » (suppression de la censure qui déclencha une vague d’érotisme). C’est donc un parallèle entre la libération d’un pays et celle d’un enfant sorti de l’enfermement de l’orphelinat et de sa classe sociale. Mais si l’ascenseur social permet à Pedrito de côtoyer la classe des « gens charmants », il comprend bien vite qu’il ne sera jamais l’un des leurs et se sentira toujours comme un imposteur parmi eux, profondément marqué qu’il est par la conviction que seule son enfance et les amitiés forgées alors étaient authentiques.

Portrait d’une époque et d’une génération, ce roman m’a paru long et répétitif, et lassante l’obsession du narrateur et ses camarades pour le sexe. Si la quatrième de couverture parle d’humour décapant, j’y ai surtout vu de l’humour désabusé, voire de l’amertume, et de la nostalgie. L’amitié du narrateur pour Escurín et son adoration pour Mercedes sont très touchantes, mais globalement je reste sur une impression de confusion et d’incompréhension.

En partenariat avec les Editions Métailié.

Présentation par l’éditeur:

Gouvernée par la main ferme des bonnes sœurs, l’enfance de Pedrito n’a pas été facile et l’adulte qu’il est devenu n’arrive pas à s’en défaire. Pourtant, c’est à ce moment-là qu’il rencontre ses meilleurs amis, Escurín, avec ses yeux de garçon de café portugais, et Pardeza, démocrate en devenir qui penche autant à gauche qu’à droite, ainsi que Mercedes, l’amour de sa vie, hautaine, légèrement exhibitionniste et à peine au courant de l’existence de Pedrito.

Tandis que l’Espagne de l’après-Franco découvre une vague érotique, la vie de Pedro est bouleversée lorsque ses grands-parents apparaissent pour lui offrir un « Grand Avenir » au beau milieu de la petite-bourgeoisie madrilène, là où pullulent les « gens charmants ». Loin de ses amis, « les invisibles », mais toujours accompagné de la Vierge Marie – qui lui apparaît régulièrement pour le conseiller, quoique parfois un peu dévêtue et toujours pressée – et d’un nouveau copain, le grand Carlón – un jeune Sherlock Holmes en surpoids –, Pedrito décide de devenir affreusement riche, malgré les risques que cela comporte.

Avec un humour féroce et un sens de la repartie inégalable, Rafael Reig dresse ici le portrait d’une génération désenchantée qui pense qu’elle en a peut-être fini avec le passé, mais le passé n’en a pas fini avec elle. Les années 70 et l’après-Franco vus par des orphelins – canailles, ironiques, roublards – élevés dans un foyer tenu par des bonnes sœurs strictes et cachottières. Un roman féroce sur l’amitié et le temps qui passe.

Quelques citations:

– [Le narrateur, 12 ans:] Je trouvais drôle de voir les adultes face à un grand événement. Ils se sentaient meilleurs quand une collision de trains les bouleversait; plus intelligents, quand les conséquences de la mort d’un chef d’Etat les préoccupaient; plus humanitaires, quand ils s’indignaient face à une famine en Afrique.

– Par les temps qui courent, le spectacle de deux gamins, l’un de treize ans et l’autre de seize, en train de fumer et de boire des bières, déclencherait une intervention de la police ou des forces spéciales, accompagnées d’assistantes sociales, de psychologues, de pédagogues et d’experts en traumatismes engagés par la télé, mais à l’époque [fin des années 70] c’était tout ce qu’il y avait de plus courant et on s’en moquait comme d’une guigne. Peut-être que nous avons beaucoup progressé, mais une enfance livrée à elle-même nous semblait, à nous, le plus beau cadeau qu’on puisse nous faire.

Evaluation :

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