samedi , 28 septembre 2024

Il neige sur le pianiste

Auteure: Claudie Hunzinger

Editeur: Grasset – 28 août 2024 (224 pages)

Lu en septembre 2024

Mon avis: Une femme âgée, qui vit dans une maison isolée dans la forêt vosgienne, s’éprend d’un renard, flèche rousse flamboyante entraperçue au coin de sa terrasse. Elle l’attire à elle, sans cependant vouloir l’apprivoiser, en lui déposant chaque soir un peu de nourriture. Elle instaure ainsi une routine, comme un rituel qui viendrait remettre un peu d’ordre dans ce monde au bord du chaos.

Un jour, elle invite chez elle un pianiste, jeune virtuose qui parcourt la planète entre hôtels et salles de concert prestigieuses. Il est prévu qu’il passe une nuit chez elle, mais une neige complice s’invite elle aussi, et finalement il en passera dix, de nuits, bon gré mal gré, le désagrément de ce contretemps étant compensé par la présence d’un piano au grenier et le désir à peine voilé du pianiste de souffler au milieu de sa vie remplie de trépidations mais pas forcément de sens.

Le temps s’écoule alors entre contemplations, conversations légères mais profondes (ou l’inverse), arpèges et marches dans la neige. La femme âgée s’éprend du pianiste, aussi, mais elle est raisonnable et retient les avances qu’elle fantasme, et puis surtout cet homme introverti est probablement très loin de ressentir la même chose.

Il y a dans ce livre de la poésie, la beauté de la Nature toujours plus menacée par l’Homme, celle de la musique, le calme, la conscience aiguë de l’âge et du temps qui passe et dont on voudrait suspendre le cours, la vie qu’on voudrait vivre intense jusqu’au bout, en harmonie avec le vivant mais pas forcément avec la « civilisation ». Et un peu plus loin, à la lisière de la forêt toujours plus réduite, il y a le désordre autodestructeur du monde.

C’est beau et poétique, (autobiographique?), parfois un brin espiègle ou pathétique, c’est plein de pureté et de joie de vivre entremêlées de mélancolie. Mais il y a un je-ne-sais-quoi qui fait que je ne comprends pas vraiment où mène cette histoire, et que je passe un peu à côté.

En partenariat avec les éditions Grasset via Netgalley.

#Ilneigesurlepianiste #NetGalleyFrance

Présentation par l’éditeur:

Un soir de première neige, loin de tout, une vieille romancière enracinée dans sa forêt reçoit la visite d’un pianiste, voyageur planétaire, connu pour ses interprétations de Jean-Sébastien Bach. Ils ne s’étaient jamais vus. Il était prévu qu’il ne resterait qu’un soir, mais la romancière n’a pas du tout envie de le laisser repartir. Comme la neige n’en finit pas de tomber et qu’il y a un Steinway sur place, elle va le séquestrer dix jours et onze nuits. Captivée par ce personnage, et même troublée, le soir du troisième jour, elle ajoute quelques gouttes de plus au somnifère qu’il lui demande pour se remettre de son décalage horaire.
On n’est pas loin du roman de Kawabata, Les belles endormies. Le thème du désir et de la vieillesse est ici abordé, mais de façon inversée, et c’est sans doute un peu plus dérangeant : il ne s’agit pas d’un vieil homme qui entre dans le lit de jeunes beautés endormies, mais d’une femme vieille qui s’assoit au bord du lit d’un homme qu’elle a endormi, plus jeune qu’elle, et très beau.

Le même soir que le pianiste était arrivé un petit renard en très mauvaise forme. La romancière le soigne. Elle le sauve. Observer chaque soir cet extraordinaire petit renard devient une sorte de rite, et les rites, se dit-elle, sont là pour remettre de l’ordre dans le monde.

Il est donc question de soigner le monde, grâce à un pianiste et grâce à un renard. Et il est aussi question de deux amours. Un du jour, un de la nuit. L’un venu du dehors, apportant sa vie concrète, terrestre et menacée. L’autre, on dirait, venu de derrière la mort, nous assurant que tout a déjà eu lieu. Les horreurs ont été lavées à grande eau. Le monde resplendit.

Quelques citations:

– Je ne crois plus à la suprématie du langage humain, à ses certitudes, à son objectivité, à sa logique qui nous séparent du reste du monde, niant le vivant. Aussi m’étais-je intéressée avec délectation au bourdonnement émis par des milliers de bouches différentes dont les corps sont les insectes, les herbes, les arbres, les nuages, les animaux. Au langage-cerf, au langage-sapin, au langage-vent. Tout parle autour de moi. J’ai l’impression que les mots se nourrissent des choses. 

– C’est troublant, des chiens sensibles à la musique. […] On dirait que ces chiens qui chantent répondent à un langage d’avant l’humanité, à un chant originel, et que depuis leur exil auprès des humains, ils se souviennent de lui. C’est ainsi que j’ai compris ce qu’est sur Terre notre exil d’être humains. J’ai pris conscience, face à la musique, que j’étais pareille à mon chien, un être domestiqué, exilé d’un pays perdu.

– Et cela en plein TGV, dans la voiture 3 tout entière sourde, écouteurs aux oreilles, regards hypnotisés par les écrans. Puis, dehors, ont à nouveau surgi des prairies, mais d’une autre espèce, plus vastes, et des chemins plus larges, et j’étais la seule à mettre le nez à la vitre, et quand je détournais un peu la tête de la vitre pour revenir à l’intérieur de la voiture 3, place 87, et que j’observais cet autre spectacle que vous offre le TGV, mes semblables, pas un seul ne me regardait ou croisait mon regard. Je n’existais pas, pas plus que le dehors n’existait. Ils étaient tous sur leur portable, dans leur écran, bouffés par leur écran, et alors j’ai eu l’impression d’être le dernier humain encore éveillé sur la planète au milieu des zombies, et que c’était à moi seule que la planète se montrait dans sa beauté multiple, sans cesse renouvelée, propulsée dans un tournoiement d’hivers et d’étés.

– Un jour, lors d’un entretien auquel j’assistais, un philosophe avait affirmé que les animaux n’ont pas conscience de la beauté. Que c’est ce qui nous différencie d’eux. J’avais pensé, ce n’est en aucun cas une supériorité de notre part, plutôt une infériorité, les animaux n’ont pas à avoir conscience de la beauté: ils sont la beauté. Et puis, la conscience, qu’est-ce que c’est la conscience? Notre mauvaise conscience plutôt, non? Notre fameuse dissonance cognitive, notre impossible innocence dans un monde mauvais. Non?

– …pour moi, la tendresse, c’est essentiel, en donner, en recevoir, l’existence sans tendresse serait une boucherie, jouer Schumann sans tendresse serait de la boucherie. […] et j’ai pensé, il a dit tendresse, ce mot, je ne l’attendais pas, un mot qui sent l’abandon, tendresse comme celle qu’on n’a jamais connue et qui vous transperce d’un manque effroyable, et à ce moment-là, il a ajouté: Oui, être transpercé de tendresse qui vous manque ou qu’on vous donne, et ça m’a renvoyée étrangement à mon enfance, et j’ai pensé, cet homme connaît la planète des enfants rudement menés […].

Evaluation :

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