Auteur: Kathryn Stockett
Editeur: Babel – 2013 (624 pages)
Grand Prix des lectrices de Elle 2011
Lu en février 2018
Mon avis: Aux Etats-Unis, dans le Deep South des années 60, le racisme et le Ku Klux Klan ont encore quelques beaux jours devant eux. Pourtant, les Noirs, et en particulier les Noires, sont bien utiles à ces dames de la bonne société blanche. Il est en effet de bon ton (sans mauvais jeu de mots), pour toute bourgeoise qui se respecte, d’avoir une domestique noire à son service. Pour tout faire, ou presque : cuisiner, lessiver, repasser, nettoyer, et surtout, surtout, s’occuper des enfants. Les élever à la place de leur mère, quasiment. La jeune Skeeter est l’une de ces fillettes blanches, plus ou moins délaissée par sa mère aux bons soins de sa nounou noire. Après ses études à l’université, Skeeter revient à la maison, avec en elle le rêve de devenir écrivain, et le germe d’une volonté de changement qui la pousse à s’interroger sur les relations (les tensions, l’oppression, les discriminations) entre Noirs et Blancs. Ce germe va bientôt éclore en un projet fou et rencontrer son rêve : écrire un livre qui donnerait la parole aux bonnes noires. Projet dangereux et difficile vu le racisme prégnant et la réticence, la méfiance, voire la peur des bonnes de se confier à une jeune Blanche. Mais Skeeter s’accroche, convainc une bonne qui en convaincra d’autres, et voilà le mouvement lancé, dans le plus grand secret, car les risques pour les Noires sont bien réels, à commencer par la perte de leur emploi, et représailles plus violentes si affinités.
Bon alors, je ne vais pas faire ma mauvaise tête, ce roman est captivant, parfois très drôle, parfois très amer. Il ne faut cependant pas le lire comme une fiction dénonçant le racisme et les lois ségrégationnistes de l’époque, il est bien trop feutré, trop sage et « gentil » pour ça, on est loin de la puissance d’un pamphlet. Non, il faut se rappeler que l’auteure est une Blanche – qui s’est d’ailleurs posé elle-même la question de sa légitimité à « prendre la voix d’une Noire » (cf post-face de l’édition poche) – et se dire qu’elle a peut-être simplement voulu rendre compte d’une situation qu’elle avait elle-même vécue et qui l’avait marquée. En effet, elle aussi, à l’image de Skeeter, son double romanesque, a grandi dans une famille bourgeoise du Mississipi, dans les jupes de sa nounou noire plutôt que dans celles de sa mère. Elle s’applique à montrer que tout n’était pas blanc ou noir (sans mauvais jeu de mots – bis) : certains Noirs avaient des comportements inacceptables (les hommes, surtout), et certaines patronnes blanches avaient beaucoup de respect et de considération pour leurs employées. Il reste cependant que, dans pareil contexte dramatique pour les Noirs (qui jouent leur vie tous les jours), l’étalement des questions existentielles de Skeeter quant à son avenir, ses amours et son apparence paraissent un brin déplacées.
Mais soit, ce roman à trois voix (deux Noires pour une Blanche, comme en musique) est un bel hommage à ces héroïnes (noires) du quotidien. Il est touchant, a touché un grand nombre de lecteurs et autant de consciences, c’est déjà beaucoup.
Présentation par l’éditeur:
Chez les Blancs de Jackson, Mississippi, ce sont les Noires qui font le ménage, la cuisine, et qui s’occupent des enfants. On est en 1962, les lois raciales font autorité. En quarante ans de service, Aibileen a appris à tenir sa langue. L’insolente Minny, sa meilleure amie, vient tout juste de se faire renvoyer. Si les choses s’enveniment, elle devra chercher du travail dans une autre ville. Peut-être même s’exiler dans un autre Etat, comme Constantine, qu’on n’a plus revue ici depuis que, pour des raisons inavouables, les Phelan l’ont congédiée.
Mais Skeeter, la fille des Phelan, n’est pas comme les autres. De retour à Jackson au terme de ses études, elle s’acharne à découvrir pourquoi Constantine, qui ‘la élevée avec amour pendant vingt-deux ans, est partie sans même lui laisser un mot.
La jeune bourgeoise blanche et les deux bonnes noires, poussées par une sourde envie de changer les choses malgré la peur, vont unir leurs destins, et en grand secret écrire une histoire bouleversante.
Passionnant, drôle, émouvant, La couleur des sentiments a connu un succès considérable dans le monde entier, et a été adapté au cinéma. En France, le roman a reçu en 2011 le grand prix des lectrices de Elle.
J’ai bien aimé ce roman qui a le mérite d’être lucide quant à la condition des femmes noires domestiques des blancs.