Auteur: Tom Lanoye
Editeur: Editions de La Différence – 2013 (191 pages)
Lu en août 2018
Mon avis: Ça y est, c’est sûr, je suis amoureuse de l’écriture de Tom Lanoye. Après « La langue de ma mère » qui m’avait tourneboulée jusqu’au fond des tripes mais pour des raisons très personnelles, j’ai tenté une deuxième approche pour confirmer ma première impression. Bref, résultat, me voilà prise au piège de sa prose, mais je ne m’en plains pas le moins du monde.
Et donc, ces boîtes ? Il y en a trois, personnelles, plus une, à contenance universelle. Je m’explique.
La première : la boîte en carton qui, dans les années 70 (prononcez « septante »), sert de valise au jeune Tom, dix ans, pour deux semaines de colonie de vacances dans les Ardennes, financées par les Mutualités Chrétiennes. L’occasion pour le petit gars de rencontrer Z., son premier amour, même s’il ne connaît pas encore les mots à plaquer sur ce qu’il ressent pour son camarade. Oui, SON camarade. Parce que, d’emblée, on sait qu’il sera ici beaucoup question d’homosexualité.
La deuxième : la « Boîte », surnom du collège catholique élitiste où Tom et Z. se retrouvent dans la même classe. Six années pendant lesquelles Tom gardera son amour pour Z. secret, de même que ses séances répétées de masturbation frénétique, lesquelles sont cependant décrites au lecteur de long en large (si je puis me permettre). L’occasion aussi de partir à nouveau en colonie de vacances avec Z., en Suisse cette fois, et de tenter quelques manœuvres d’approche aussi discrètes qu’incomprises.
La troisième : la, ou plutôt les boîtes d’archives que Tom l’écrivain conserve « pieusement » depuis ces années d’émoi. En particulier celle où il est question d’un dernier voyage avec Z., non pas en colo, mais avec ses condisciples, quelques semaines avant la fin de la dernière année scolaire à la « Boîte », avant l’entrée dans le monde adulte. Un voyage en Grèce, au pays des éphèbes, apothéose culturelle et espoir de climax amoureux, mais dont le final tourne à la tragédie… grecque pour Tom, qui en reviendra avec son premier chagrin d’amour.
La quatrième : celle qui englobe les autres et dans laquelle on peut tous se reconnaître, un peu, beaucoup, passionnément…
Oui, on peut s’y reconnaître, parce que (et sans même tenter de refréner mon enthousiasme), en vrac :
Même si c’est un récit autobiographique qui parle d’éveil à l’homosexualité, c’est aussi l’histoire d’un premier amour et du chagrin qui va avec, et c’est si entier et si sincère, et tellement bien décrit que ça touche à l’universel et que ça vous plonge dans vos souvenirs.
Parce qu’il y a l’humour, l’auto-dérision, et puis cette façon jouissive de brocarder les rivalités entre mutualités chrétienne et socialiste, la ligne de faille typiquement belge entre collèges cathos et athénées impies, et la révolution interne à l’enseignement catholique, contraint de se moderniser et d’accepter des profs laïcs et « rénovants » dans un corps enseignant jusque là exclusivement vêtu de soutanes et de cols romains. Les anecdotes et les portraits qu’il tire de certains professeurs me rappellent ceux que mon père et mes oncles et tantes racontent encore de leurs propres années de secondaire.
Parce que l’écriture sonne tellement juste dans ses détails et son réalisme qu’on se sent pris, pas tant de belgitude, mais de « flamanditude », avec ces descriptions du quotidien de la classe moyenne d’une petite ville provinciale de la Flandre patoisante…
… et parce que c’est magnifiquement traduit, chapeau bas et mille mercis à Alain van Crugten.
Parce que c’est drôle, nostalgique, un brin sulfureux, truculent et décomplexé, parce que l’auteur y parle avec tendresse et générosité des femmes de sa vie, mère, sœur, tante, amies, auxquelles il rend hommage. « Les femmes ont le cœur trop grand pour ce bas-monde« , ça se passe de commentaire.
Parce qu’enfin, il s’adresse à son lecteur, en lui témoignant respect et admiration, et que j’en suis toute « paf ».
« Autori salutem »; ceux qui ont lu comprendront.
#LisezVousLeBelge
Présentation par l’éditeur:
Les Boîtes en carton, qui fit connaître Tom Lanoye en Flandre, est l’histoire d’un gamin issu d’un milieu populaire qui, lors d’un voyage scolaire organisé par une caisse d’assurance au début des années soixante, tombe amoureux d’un des garçons qui participe à l’excursion. L’homosexualité approchée sans tabou fit le succès du livre mais, au-delà de cette relation aujourd’hui encore sulfureuse dans un pays catholique, l’auteur brosse une galerie de portraits criants de vérité, souvent cruels et hilarants. Avec cet art de la caricature et du burlesque qui a enchanté les lecteurs de La Langue de ma mère, Tom Lanoye parvient à nous faire revivre cette période de l’après-guerre avec ses poncifs et son euphorie, et cette région, la Flandre, qui faisait, alors, complètement partie de la Belgique.
Quelques citations:
– C’était l’époque [début des années 70] où le tourisme entamait à peine la marche en avant qui allait tout dévaster sur son passage. Bientôt, de la Scandinavie à la Côte d’Azur, aucun paysage ne serait épargné par les mutilations infligées par les autoroutes et les hôtels. De Dublin à Vladivostok, aucune famille n’échapperait à ce terrorisme : on serait contraint de quitter tout ce qu’on aime, d’aller « se relaxer tranquillos » pendant quinze jours à l’étranger pour enfin, au retour, reprendre le train-train comme si rien ne s’était passé.
– … un valet est le miroir de son maître, un chien se met à ressembler à son propriétaire. Comment un amoureux n’imiterait-il pas l’objet de sa flamme? Le but de l’amant n’est pas tellement de s’unir avec la personne aimée que de devenir cette personne. De cesser d’exister par lui-même pour se hausser jusqu’à cette forme supérieure d’existence devant laquelle il est en adoration.
– Les femmes ont le cœur trop grand pour ce bas-monde.
– Mais s’il est parfois malaisé d’oublier ce qui est écrit, combien plus difficile est d’oublier ce qu’on espérait voir écrit. Et qui reste à jamais non écrit.
– Bien sûr, j’aurais pu m’enfuir, comme un vrai rebelle. Quitter l’école, la maison, pour la grande vie. La navigation au long cours, l’usine, l’armée. Mais je n’étais pas assez fort pour cela. Ou plutôt: j’étais trop lâche, trop paresseux, trop inexpérimenté. La seule chose que je possédais, moi, le petit général, c’était la certitude intuitive qu’à côté de la véritable rébellion, si l’on désirait la liberté, il devait exister une autre façon de combattre l’absence de liberté. Appliquer tous les décrets et ordonnances de cette non-liberté d’une manière fanatique, pour qu’elle finisse par s’embrouiller. Pour qu’elle devienne, fût-ce dans ma seule imagination, une caricature dérisoire.
Ah, j’attendais ton billet avec impatience ! On retrouve donc dans ce titre tout ce qui fait le charme de l’écriture de Lanoye, qui m’a vraiment réjouie à l’occasion de la lecture de La langue de ma mère. Je note donc !
Oui, si tu as aimé La langue de ma mère, pas d’hésitation!