Auteur: Roy Jacobsen
Éditeur: Gallimard – 2017 (272 pages)
Lu en septembre 2020
Mon avis: Ils sont invisibles parce qu’ils vivent sur de toutes petites îles dans le nord de la Norvège, au début du 20ème siècle, et que ces îles, dont souvent ils portent le nom (ou l’inverse), sont à l’écart des principales routes maritimes, même pas marquées sur les cartes.
Sur Barrøy, Hans, 35 ans, est le chef de famille. Il vit là avec son père, sa sœur attardée mentale, sa femme et leur fille Ingrid. Tous travaillent dur, selon leur âge et leurs capacités. La pêche, la laine des brebis, la récolte de duvet d’eider, les potagers, les tâches sont diverses et variées mais incessantes et souvent rendues très difficiles par les conditions climatiques sauvages, à l’image de la nature. La terre et la mer sont leurs éléments nourriciers mais peuvent aussi ruiner leurs espoirs de survie quand les tempêtes ou les accidents s’en mêlent. Cette vie rude et spartiate, monotone, à l’écart, est racontée depuis le point de vue d’Ingrid, 7 ans au début du roman, qui s’étale sur une petite dizaine d’années. Intelligente et sensible, la fillette observe les adultes sans forcément tout saisir de leurs agissements. Mais même si elle ne comprend pas tout, elle ressent les choses, bousculée elle aussi par la vie et les coups du sort.
Avec son écriture dépouillée et ses dialogues laconiques, « Les invisibles » est un roman taciturne dans lequel on ne gaspille pas son énergie en vaines discussions, tant on est occupé à survivre et à lutter contre les éléments. Mais le texte n’est pas noir ni froid pour autant, le printemps et l’été ramènent la lumière, et l’amour et la solidarité familiale réchauffent les cœurs tout au long de l’année.
En plus de nous en apprendre beaucoup sur le mode de vie insulaire d’il y a un siècle, « Les invisibles » nous emmène en immersion dans une saga familiale attachante, faite de courage, de drames, de silence et de lenteur.
Présentation par l’éditeur:
« »C’est sans danger », lui crie son père à l’oreille. Mais elle n’entend pas. Ni lui. Il lui crie qu’elle doit sentir avec son corps que l’île est immuable, même si elle tremble, même si le ciel et la mer sont chambardés, une île ne disparaît jamais, même si elle vacille, elle reste ferme et éternelle, enchaînée dans le globe lui-même. Oui, c’est presque une expérience religieuse qu’il veut partager avec sa fille en cet instant, il doit lui apprendre ce principe fondamental : une île ne sombre jamais. Jamais.»
Ingrid grandit sur une île minuscule du nord de la Norvège, au début du XXème siècle. La mer est son aventure. Entre la pêche, les tempêtes et la pauvreté, elle possède les saisons, les oiseaux et l’horizon. Les invisibles est un roman sur une famille et des enfants forcés de grandir vite face aux éléments, face à une vie réglée par les besoins les plus simples. C’est un roman sur la fatalité et sur les ressources que les hommes déploient face à la rudesse du monde. La narration laconique, veinée de flamboyance poétique, accumule par touches subtiles les composants d’un tableau toujours plus vivant et profond, riche en métaphores. Et puis, il y a les vies de ces hommes et de ces enfants qui, sous la pression de la nature et du temps, deviennent des destinées. Et c’est tout le talent de Roy Jacobsen de rendre visibles «les invisibles».