Auteur: Soichi Kawagoe
Editeur: Belfond – 22 août 2024 (424 pages)
Lu en août 2024
Mon avis: Pendant la seconde moitié du 19ème siècle, l’île de Sakhaline, à l’extrême est de la Russie et au nord du Japon, a fait l’objet de partages et de disputes incessants entre ces deux pays, qui ne se préoccupaient guère de demander leur avis aux différents peuples autochtones occupant l’île.
Parmi eux, les Aïnous, qui vivent principalement de la pêche, dans le sud de Sakhaline.
Yayomanekf est un Aïnou né sur l’île, mais a été « déplacé » par les Japonais, avec la majorité de la population aïnoue, sur Hokkaido. « Japonisé » malgré lui, il n’aura de cesse de retourner sur sa terre natale.
Pendant ce temps-là, à l’autre bout de l’Empire russe, Bronislaw Pilsudski, Polonais né dans l’actuelle Vilnius, a dû lui aussi renoncer à sa langue maternelle en raison de la politique russe d’assimilation. Nationaliste et socialiste, il est impliqué dans un complot contre le tsar, et se voit condamné à quinze ans de travaux forcés sur l’île de Sakhaline.
Sur place, pendant ses rares moments de temps libre, il rencontre les Aïnous, s’intéresse à leur culture et leurs traditions, prend conscience et s’offusque de l’impact de la colonisation sur leur mode de vie. Il se lie d’amitié avec eux et Yayomanekf en particulier, apprend leur langue, leur enseigne le russe en échange, et réchauffe son âme à cette chaleur humaine qui lui faisait si cruellement défaut dans son exil abrutissant.
Au fil de bien des rencontres et des péripéties, devenu anthropologue autodidacte, imprégné de ses idéaux nationaliste et socialiste et de l’idée qui le porte à aller « vers le peuple, parmi le peuple », Bronislaw passera une bonne partie de sa vie à tenter de sauvegarder l’identité et la culture aïnoues en les documentant et en leur faisant prendre conscience de leur dignité et de leurs droits.
« Source de chaleur » est un roman historique dont tous les personnages ont existé (Bronislaw étant le frère de Jozef Pilsudski, artisan de l’indépendance polonaise). Il retrace une histoire d’amitié entre deux hommes coupés de leurs racines et contraints d’intégrer une autre culture, une histoire de colonisation et de liberté, de guerres et de supériorité raciale supposée.
Le style n’est pas extraordinaire ni toujours très abouti (peut-être à cause de la traduction?*), et manque de souffle romanesque. On s’y perd parfois entre les différents fils narratifs, mais on en apprend beaucoup sur cette région du monde, son histoire et ses habitants.
*j’ai de plus en plus souvent l’impression que les textes sont d’abord traduits par une IA puis revus (ou pas) par un « vrai » traducteur « artisanal ». Sans compter les coquilles d’édition et l’accord du participe passé.
En partenariat avec les Editions Belfond via Netgalley.
#soichikawagoe #NetGalleyFrance
Présentation par l’éditeur:
Yayomanekf est né sur l’île de Sakhaline. Comme toute sa tribu, les Aïnous, il a subi le déracinement à Hokkaidô imposé par les Japonais. Mais il n’a qu’un rêve : retourner sur la terre de ses ancêtres.
Bronisław Piotr Piłsudski est un universitaire polonais. Accusé d’avoir participé à un complot visant à tuer le tsar, il est condamné à l’exil à Sakhaline.
La rencontre des deux hommes va déboucher sur une entreprise folle : enregistrer les Aïnous, documenter leur mode de vie et prévenir le monde de la tragédie qui se noue sur cette île que se disputent la Russie et le Japon.
Une citation:
– En définitive, l’homme soulignait ce qui paraissait du bon sens établi pour une immense majorité de l’élite intellectuelle de l’Europe de l’époque moderne. A savoir que les humains sont divisés en races portant chacune des caractéristiques innées spécifiques, caractéristiques qui induisent naturellement une hiérarchie entre les races, hiérarchie elle-même justifiée par une hiérarchie des capacités. Le niveau de développement des peuples et des races formait naturellement une échelle linéaire et orientée, avec la race blanche européenne seule en tête du développement, et tous les autres peuples derrière à essayer en pure perte de suivre ses traces, les autres peuples étant catégorisés comme définitivement inférieurs, par définition. Ainsi, c’est sous le couvert d’humanisme que la domination européenne des peuples non européens se trouvait justifiée, et justifié le fait que les Européens inculquent aux peuples inférieurs la mentalité d’envier et d’adorer les Européens.
Bonjour,
Personne ne vous empêche d’avoir des « impressions » sur l’emploi d’une I.A. par les traducteurs, mais vous avez le moindre début de preuve ? Moi j’ai l’impression que vos peurs inconscientes vous empêchent de lire sereinement toute traduction (ou cela va-t-il même jusqu’à la littérature écrite en langue française ?). Vous devriez prendre le temps de vous renseigner comment les traducteurs et traductrices traduisent aujourd’hui, ça vous ferait reprendre confiance dans les textes que vous lisez. Vous y gagnerez en plaisir de lecture et cela vous évitera de jeter un discrédit indu sur les traductions des livres que vous commentez.
Cela n’empêche pas des coquilles éventuelles, que je vous prie d’excuser, et que l’éditeur corrigera si vous voulez bien les lui signaler (mais n’auriez-vous pas lu la version avant BAT qui a circulé pour la presse et les libraires avant la sortie du livre, comme cela se fait couramment ? Je dis cela parce que la transcription du nom du personnage que vous utilisez a été corrigée dans la version définitive, sur le conseil de spécialistes de la culture aïnoue, avec un h final à la place d’un f. Dans ce cas, je vous rassure, la majorité des fautes qui subsistaient à ce stade ont été corrigées dans la version qui est distribuée commercialement. Il peut en rester quelques unes, cela arrive).
Sur le fond de votre commentaire, ma lecture personnelle (pas plus légitime que la vôtre, nous sommes d’accord) est que l’auteur réussit la gageure de présenter de façon cohérente et aussi peu biaisée que possible les différentes façons de concevoir ce que signifie une identité pour des personnages de différentes origines et éducation. Alors qu’il aurait pu se contenter d’exprimer les conceptions japonaise et aïnoue de ce que signifie vivre son identité (ça aurait déjà été un exploit), c’est pour ma part la première fois que je vois un écrivain japonais comprendre et exprimer avec une telle justesse l’humanisme occidental moderne (que porte le personnage de Bronislaw), et mettre le doigt sur ce que cet humanisme porte en soi de colonialisme latent, tout anti-colonialiste qu’il croie être (et veuille sincèrement être). Bronislaw, « passe une bonne partie de sa vie à tenter de sauvegarder l’identité et la culture aïnoues en les documentant et en leur faisant prendre conscience de leur dignité et de leurs droits », exactement. Sauf que ce n’était pas ce que les Aïnous lui demandaient. D’où le tragique du personnage.
Le « manque de souffle romanesque » que vous reprochez au livre, c’est encore autre chose. Ce que la littérature francophone et plus généralement occidentale aime, ce sont les visions larges, les grands paysages, les grandes actions, les grands destins. Ici, même au milieu de l’Antarctique, la vision ne couvre qu’un cercle de quelques mètres autour des personnages. C’est peut-être une faiblesse du point de vue de la littérature francophone ou occidentale, personnellement, je trouve cela extraordinaire, parce que justement rares sont les écrivains francophones qui savent rester à hauteur d’individu quand on parle d’enjeux graves et de destins exceptionnels. Or, un voyageur au milieu de l’Antarctique ou au milieu de l’Atlas, il pense à son identité culturelle, ou à un ancien amour de jeunesse ? N’est-ce pas ce qu’on demande à la littérature étrangère ? Des visions du monde et de l’humanité que les écrivains de notre langue ne savent pas dire, ou n’ont pas encore imaginé. On ne va pas le leur reprocher, tout de même ! On ne s’est pas encore totalement débarrassé du romantisme. Romantisme qui est fortement lié au colonialisme et au suprématisme, d’ailleurs.