samedi , 18 mai 2024

Théorie générale de l’oubli

Auteur: José Eduardo Agualusa

Editeur: Métailié (Suites) – 2018 (176 pages)

Prix international de littérature de Dublin 2017

Lu en avril 2018

Mon avis: La théorie générale de l’oubli qu’aurait pu écrire Ludovica, si elle « avai[t] encore de l’espace, du charbon de bois et des murs disponibles », n’aurait sans doute pas fonctionné en pratique. Démonstration : il y a bien longtemps, Ludo a débarqué de son Portugal natal à Luanda, accompagnant sa soeur Odette, qui venait d’épouser Orlando, un ingénieur angolais. Parce que Ludo, agoraphobe depuis un certain « Accident », peut difficilement se débrouiller seule. En 1975, alors que les remous de l’indépendance agitent l’Angola, Odette et son mari disparaissent subitement. Ludo, terrifiée par les événements extérieurs, s’emmure littéralement dans son appartement au 11ème et dernier étage de son immeuble luxueux, avec son chien Fantôme et un potager de fortune. Elle y (sur)vivra près de trente ans, isolée de tout, oubliée de tous. Croit-elle. Parce qu’à un moment, au cours de ces longues années de guerre civile, il aura suffi d’un pigeon voyageur pour la relier au monde. Un pigeon messager qui atterrit par hasard sur sa terrasse et que, pourtant affamée, elle décide de relâcher vers son destinataire plutôt que d’en faire un repas. Ce geste est au centre d’une chaîne de causes et de conséquences, pas immédiates, pas directes, et dont Ludo ignore tout, mais résolument liées entre elles, et fait intervenir une galerie de personnages bariolés, aux prises avec les heurs et malheurs de l’Angola de l’époque : dans un contexte de guerre froide, le régime communiste soutenu par Cuba est contesté par des factions rebelles appuyées par l’Afrique du Sud ou le Zaïre, pendant que d’autres convoitent les ressources minières et diamantaires ou s’approprient les terres ancestrales des nomades.

Voici une histoire à la fois touchante et rocambolesque, inspirée d’un fait réel (l’auto-réclusion de Ludo), construite à partir de fragments de vie de Ludo et qui se développe autour d’elle en une spirale accolant dans sa danse virtuose des anecdotes qu’on croyait disparates et leurs protagonistes pas si insignifiants et qui tous, proies ou ombres, se partagent une même toile.

Non non, Ludovica et ce joli petit roman ne sauraient sombrer dans une quelconque théorie générale de l’oubli. CQFD.

En partenariat avec les Editions Métailié

Présentation par l’éditeur:

Luanda, 1975. À la veille de l’Indépendance, Ludovica, agoraphobe et terrorisée par l’évolution des événements, se retranche dans son appartement en construisant un mur qui en dissimule la porte et la met à l’abri du reste du monde. Ayant transformé sa terrasse en potager elle va vivre là presque trente ans, coupée de tout, avec son chien Fantôme et un cadavre. 
Ludo a vraiment existé et mené la vie que raconte le roman. En entrelaçant cette histoire avec les aventures tumultueuses des autres personnages, voisins ou entraperçus dans la rue, tous plus ou moins impliqués dans le marasme de la guerre civile, Agualusa souligne avec une ironie subtile les extraordinaires coïncidences de la vie et crée un roman brillant et enchanteur.

Quelques citations:

– Il comprenait la nécessité d’une plus grande justice sociale, mais les communistes, qui menaçaient de tout nationaliser, l’effrayaient. Exproprier la propriété privée. Expulser les blancs. Casser les dents à la petite bourgeoisie. Lui, Orlando, était fier de son sourire parfait, il ne voulait pas devoir utiliser un dentier.

– Dieu a inventé la musique pour que les pauvres puissent être heureux.

– Dieu pèse les âmes sur une balance. Sur un des plateaux il y a l’âme, sur l’autre les larmes de ceux qui la pleurèrent. Si personne ne l’a pleurée, l’âme descend en enfer. Si les larmes ont été suffisantes, et suffisamment tristes, elle monte au ciel. […] Les personnes qui manquent aux autres vont au paradis. Le paradis est l’espace que nous occupons dans le cœur des autres. 

Evaluation :

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2 commentaires

  1. Bizarre, l’incident du pigeon voyageur pendant le jour… Cette lecture me tente bien !