Auteur: Jaume Cabré
Editeur: Babel – 2016 (920 pages)
Lu en décembre 2019
Mon avis: A Barcelone, au début des années 2000, Adrià Ardèvol, vieil homme se sentant rattrapé par la maladie d’Alzheimer, tente de reconstituer son histoire familiale dans une longue lettre qu’il adresse à la femme de sa vie. Pour elle, il retrace son enfance dans les années 50. Entre un père antiquaire, érudit, tyrannique, qui oblige son fils à apprendre une douzaine de langues, et une mère sans cœur qui le rêve en violoniste virtuose, Adrià grandit, solitaire et sans amour, tiraillé entre les ambitions écrasantes de ses parents. Poussé à l’excellence, Adrià trace cependant son propre chemin, devient un brillant universitaire, et découvre peu à peu la face sombre de son père et la manière douteuse dont il est entré en possession de nombreux objets d’art, parmi lesquels un violon inestimable du 18ème siècle. Dans cette sorte de mémoires-confessions, Adrià se raconte et, à travers son histoire, il fait émerger celle du violon et de ses origines, remontant au Moyen-Âge, à l’Inquisition, au nazisme et à la dictature franquiste, et passant par l’Espagne, Rome, Anvers, Auschwitz, le Congo.
Mais je vous sers là un résumé trop réducteur. Confiteor, ce n’est pas seulement l’histoire d’un homme mêlée à celle d’un violon centenaire. Ce sont des questionnements sur l’art, le mal, la culpabilité, l’expiation impossible, l’existence ou non de Dieu, d’un dieu ; ce sont des passages sur le déclin d’Adrià criants de réalisme et qui serrent le cœur, une histoire d’amour déchirante, une spirale sans fin de spoliations et de cupidité, des dizaines de personnages liés les uns aux autres, et d’événements découlant les uns des autres. Le lien, les liens, c’est peut-être cela, l’élément-clé de ce roman. L’auteur tisse une toile complexe et chaotique entre personnages et événements, dans une narration tumultueuse qui passe de la première à la troisième personne du singulier et d’une époque à l’autre au milieu d’une phrase. Il faut un (court) temps d’adaptation et un brin de concentration mais ensuite, c’est carrément jouissif d’être ballotté de la sorte et de s’apercevoir qu’on comprend (presque) tout quand même. Je craignais de mettre des mois à lire ce pavé (900 pages édition poche), je l’ai dévoré en quelques jours (merci les vacances). Il me reste néanmoins quelques questions sans réponse : l’histoire du médaillon, l’explication de la deuxième combinaison du coffre-fort, qui est le père de Claudine, qui est Gertrud, pourquoi Tito et Berenguer se sont-ils associés, qui sont les commanditaires des meurtres des anciens nazis,… ? Et cette fin qui n’en est pas une…
Malgré cette frustration, Confiteor est un roman virtuose, touffu, riche et ambitieux qui m’a emportée dans le dédale des souvenirs d’un homme et dans l’histoire violente de l’Europe à travers les destins croisés d’une foule de personnages plus ou moins gâtés par le sort. Considérant que « l’art véritable naît toujours d’une frustration. A partir du bonheur, on ne crée rien » et que l’homme « tente de survivre au chaos par l’ordre de l’art », il interroge sur le rapport vertigineux entre le mal et la beauté : « il est impossible de séparer cette question [la beauté] de la présence inexplicable du mal« .
Présentation par l’éditeur:
Adrià grandit à Barcelone dans les années 1950, entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le destine à une carrière de violoniste virtuose. Le garçon essaie de satisfaire au mieux les ambitions démesurées dont il est dépositaire, jusqu’au jour où il entrevoit la provenance douteuse de la fortune familiale, issue d’un magasin d’antiquités extorquées sans vergogne.
Un demi-siècle plus tard, juste avant que sa mémoire ne l’abandonne, Adrià tente de mettre en forme le récit familial en écrivant de longs feuillets à la femme de sa vie. Cette révélation progressive ressaisit la funeste histoire européenne et plonge ses racines aux sources du mal. De l’Inquisition à la dictature espagnole et à l’Allemagne nazie, d’Anvers à la Cité du Vatican, vies et destins se répondent pour converger vers Auschwitz-Birkenau, épicentre de l’abjection totale.
Retraçant l’itinéraire d’un enfant sans amour puis l’affliction d’un adulte sans dieu aux prises avec l’histoire du Mal souverain, Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane.