mercredi , 24 juillet 2024

Mille femmes blanches

Auteur: Jim Fergus

Editeur: Pocket – 2004 (505 pages)

Lu en novembre 2015

mille femmes blanchesMon avis: 1874. Le chef Cheyenne Little Wolf rencontre le président américain Ulysses Grant à Washington. Officiellement, cette quasi-visite d’Etat a pour but de négocier la paix entre Blancs et Indiens. Officieusement, pour faciliter cette pacification, Little Wolf propose à Grant mille chevaux en échange de « mille femmes blanches », qui, en épousant autant d’Indiens et en donnant naissance à des « sang-mêlé », favoriseraient l’intégration des « Peaux-Rouges » à la « civilisation » blanche. Voilà une proposition aussi immorale qu’extravagante. Imaginez cependant que le gouvernement américain ait accepté secrètement cet échange inédit à des fins purement stratégiques, le but ultime étant de conquérir les territoires indiens, riches en or, pour permettre aux colons de s’y installer, et de parquer les « sauvages » dans des réserves tout en diluant peu à peu leur identité en la métissant avec ces « femmes blanches ». Difficile, cependant, politiquement parlant, de recruter parmi la population civilisée un millier de jeunes femmes prêtes à épouser des sauvages et leur mode de vie, et à se sacrifier pour la cause nationale. Si quelques-unes, désespérées ou se sentant investies d’une mission évangélique, se portent volontaires, le reste du contingent est extrait des prisons et des asiles. C’est le cas de May Dodd, riche héritière, internée par ses parents parce qu’elle aimait un homme de classe sociale inférieure (il fallait vraiment qu’elle soit démente, n’est-ce pas), et qui préférera choisir la vie dans les plaines de l’Ouest avec des sauvages plutôt que les quatre murs aveugles de sa chambre d’asile au milieu des fous à Chicago. C’est elle qui nous raconte cette aventure, par le biais des carnets qu’elle rédige, à la fois journaux de bord et lettres adressées (mais jamais envoyées) à sa famille.
Tout cela est follement romanesque, mais malheureusement pas très convaincant. D’abord, la forme du roman entretient la confusion quant à la réalité historique de cet échange : les carnets, l’introduction et l’épilogue signés par un descendant de May, les extraits des archives familiales, tout cela rend l’événement assez plausible (le cynisme des gouvernements ne reculant que devant peu de choses). Pourtant, l’Histoire enseigne (si j’ai bien compris) que si Little Wolf a bien émis cette proposition, elle n’a jamais été acceptée. Le roman est donc bel et bien une pure fiction, mais avec la conséquence, dommageable en ce qui me concerne, qu’il jette le doute sur le réalisme des descriptions de la vie des Indiens et des comportements des uns et des autres. Comment savoir, quand on est profane en la matière, si ce livre vaut document ethnographique (si oui, il est très intéressant), ou s’il est une extrapolation à partir du fantasme du « bon-sauvage-en-harmonie-avec-la-nature » (si c’est ça, comment ne pas se sentir floué) ? La crédibilité de l’ensemble en prend un coup, et est encore affaiblie par la panoplie de clichés : les affreux méchants Blancs retors, les gentils et droits Indiens naïfs (mais qui peuvent devenir très vilains quand ils boivent l’alcool de ces salauds de Blancs), les cruels soldats, les bienfaits de la vie au grand air, le curé pédophile, May la super-woman belle et rebelle qui s’adapte à tout, surmonte tout et vit même le grand amour avec son Indien de mari… On s’agace de ces personnages trop caricaturaux pour être attachants. S’ajoute à cela un décalage gênant : le comportement et le discours des femmes blanches semble plus adapté aux débuts du féminisme qu’à la fin du 19ème siècle d’une Amérique puritaine, dans laquelle la libération de la femme n’était que chimère. Le récit se traîne en longueur et en états d’âme répétitifs, et il n’y a que les 50 dernières pages qui soient palpitantes et suscitent l’émotion.
Si le but de Jim Fergus était de rendre aux Amérindiens leur place dans l’histoire de la nation américaine, son plaidoyer trop romancé dessert sa cause…

Présentation par l’éditeur:

En 1874, à Washington, le président Grant accepte la proposition incroyable du chef indien Little Wolf : troquer mille femmes blanches contre chevaux et bisons pour favoriser l’intégration du peuple indien. Si quelques femmes se portent volontaires, la plupart vient en réalité des pénitenciers et des asiles… L’une d’elles, May Dodd, apprend sa nouvelle vie de squaw et les rites des Indiens. Mariée à un puissant guerrier, elle découvre les combats violents entre tribus et les ravages provoqués par l’alcool. Aux côtés de femmes de toutes origines, elle assiste à l’agonie de son peuple d’adoption…

Une citation:

– « Si les Indiens ont peu contribué à la littérature et aux arts de ce monde, c’est sans doute qu’ils sont trop occupés à vivre – à voyager, chasser, travailler – pour trouver le temps nécessaire à en faire le récit ou, comme Gertie le suggérait, à méditer sur eux-mêmes. Je me dis parfois que c’est après tout une condition enviable… »

Evaluation :

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5 commentaires

  1. les critiques au sujet de ce roman ne m’ont jamais tentée. La tienne me maintient dans le même ressenti…

  2. Pas pour moi cette fois ! 😉

  3. Pourtant il y a aussi pas mal de critiques positives 😉

  4. Zut, j’aurais aimé le lire…