jeudi , 3 octobre 2024

Rêves oubliés

Auteur: Léonor de Recondo

Editeur: Points – 2013 (184 pages)

Lu en 2014

rêves oubliésMon avis: La Bidassoa est un petit fleuve côtier qui marque la frontière entre l’Espagne et la France, s’écoulant dans le pays basque quelque part entre Irun et Hendaye. Quand j’étais petite, dans les années 80, sa traversée du nord vers le sud était synonyme de trois semaines de vacances en Espagne, dans la famille de ma maman. Elle signifiait soleil, insouciance et légèreté.
Rien de commun avec ce qu’ont vécu Ama et sa famille, ou leurs semblables, 50 ans plus tôt.
Espagne, 1936. Les franquistes arrivent au pouvoir, c’est la guerre civile. Ama, Aïta et leurs trois fils ont quitté leur pays, traversé la frontière pour se réfugier dans un exil qu’ils espèrent temporaire. Ils ont abandonné le confort et la sécurité de leur vie quotidienne pour se retrouver dans le dénuement, obligés de réapprendre la vie dans l’incertitude des lendemains qui ne chanteront sans doute pas. Une seule chose est indestructible dans cet univers devenu chaotique : l’amour que se vouent Ama et Aïta. Un amour profond, pur, intense, pudique, lumineux, qui leur permet de résister à toutes les épreuves.
Le récit est ponctué d’extraits du carnet intime d’Ama, des phrases qu’elle écrit au gré des circonstances. L’une d’elle revient souvent : « être ensemble, c’est tout ce qui compte ». Et dans le « ensemble », il y a les trois enfants, encore plus attachants que leurs parents. On les observe qui tâtonnent, chacun à sa manière, pour s’adapter à leur nouvelle vie, en essayant de dissimuler le traumatisme de l’exil sous des apparences d’insouciance et de légèreté. Et on ne s’inquiète pas trop pour eux, tant on est frappé par leur capacité de résilience, une sorte d’instinct de survie qui les pousse envers et contre tout à grandir en sauvegardant l’essentiel : l’espoir.
Ce roman a la pureté du cristal, la douceur d’une caresse. Tout en retenue, il raconte, dans un contexte terrible, un amour tellement solaire qu’il parvient à atténuer la douleur de la perte des racines et des rêves.
Que dire de plus sinon que tout ceci ne serait rien sans le talent de l’auteur, qui nous fait cadeau d’une écriture aérienne et délicate, touchée par la grâce, qui parle au coeur.

Présentation par l’éditeur: 

À l’ombre des pins, ils ont oublié le bruit de la guerre et la douleur de l’exil. Dans cette ferme au cœur des Landes, Aïta, Ama et leurs trois enfants ont reconstruit le bonheur. Dans son journal, Ama raconte leur quotidien, l’amour, la nécessité de s’émerveiller des choses simples et de vivre au présent. Même dans la fuite, même dans la peur, une devise : être ensemble, c’est tout ce qui compte.

Quelques citations:

– « La guerre, c’est cela aussi: l’imaginaire d’un enfant qui passe de la lumière à l’ombre. »

– « Je ne veux plus écrire. Fermer ce carnet pour toujours. (…)
Je ne veux plus aucune trace, plus rien de tangible. (…) Les mots m’ont accompagnée jusqu’ici, mais maintenant ils me tiennent prisonnière. Prisonnière de leurs griffes, de mes sentiments partagés entre la joie, l’amour, mais aussi l’angoisse et la mort. Les écrire les rend vivants, alors qu’ils disparaissent pour me laisser vivre l’âme légère à l’ombre du tilleul!
Avant d’arriver en France, je n’avais jamais écrit. L’exil m’a forcée à consigner chaque émotion, chaque silence. Afin de mieux les comprendre? De soulager mon coeur?
Voilà ce que je ne veux plus vivre: cette foule de questions qui s’abattent sur moi dès que je prends la plume. (…)
Ne plus écrire, pour vivre le plus humblement possible, pour retrouver mon insouciance de jadis et déposer un baiser sur l’épaule d’Aïta. »

– « L’humeur des enfants est aussi à la joie. Les deux aînés sont ravis d’aller dans une « vraie école » comme ils disent, à Saint-Paul-lès-Dax. Iduri restera avec nous à la ferme pour la simple et ridicule raison que nous n’avons que deux vélos et que sept kilomètres nous séparent du collège. Je dois l’écrire à nouveau pour le croire: mon fils, Iduri, n’ira pas à l’école parce que nous n’avons pas pu récupérer de vélo pour lui.
La honte a serré ses sangles autour de ma gorge. »

Evaluation :

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