mardi , 14 mai 2024

Saudade

Auteur: Ursula Sila-Gasser

Editeur: Carnets Nord – 24 août 2018 (208 pages)

Lu en août 2018

Mon avis: Selon une encyclopédie collaborative ayant pignon sur le Net, « saudade est un mot portugais qui exprime un sentiment complexe où se mêlent mélancolie, nostalgie et espoir« .

Ce sont manifestement la mélancolie et la nostalgie du passé qui poussent Mathilde à écrire à son frère. Ses lettres expriment une certaine amertume, de la rancoeur même, à l’égard de sa famille. On comprend que les liens sont quasiment rompus, que Mathilde passe pour une femme à problèmes, l’hystérique de la famille. Elle souffre de ne pas être comprise, s’énerve que sa version des faits soit forcément déconsidérée. Elle décide de s’en expliquer par écrit à son frère, mais cette correspondance restera à sens unique. Entre ses lettres, Mathilde retrace à petites touches l’histoire de sa famille : les grands-parents maternels quittant l’Allemagne dans les années 20 pour émigrer vers un Eldorado brésilien, les grands-parents paternels qui, de toute leur vie, ont à peine quitté leur bourgade de Suisse alémanique, les parents qui se rencontrent en Europe puis s’installent en Amérique du Sud, au gré des affectations professionnelles du père de Mathilde. Celle-ci et son petit frère grandissent au Chili, un peu, puis au Brésil, beaucoup, où se trouve une grande partie de la famille maternelle. L’enfance de Mathilde est d’abord heureuse, insouciante, libre. Puis, au fil du temps, le papillon perd ses couleurs, se replie dans son cocon. Mathilde est coincée entre une mère craintive qu’elle doit sans cesse rassurer et un père colérique, des parents tous deux pétris de contradictions et rabaissant la fillette quoi qu’elle fasse, tandis que le petit frère semble échapper, ou en tout cas être imperméable, à ces brimades. Pendant que celui-ci réussit sa vie, Mathilde devient une jeune femme fragile, isolée, introvertie, peu sûre d’elle, achevant de glisser dans un processus de destruction de l’estime d’elle-même. Et donc prête à tomber dans les bras du premier homme qui se montrera gentil avec elle. Bientôt mère célibataire de deux enfants, elle doit renoncer à une carrière scientifique pour se contenter de boulots alimentaires, sans pouvoir compter sur le réconfort de ses proches, qui continuent à la culpabiliser.

« Saudade » est un roman touchant et très fluide, tout en délicatesse et en sensibilité, qui offre un contraste subtil entre des morceaux d’enfance sereine dans un Brésil chatoyant et des tranches de vie grise, de plus en plus triste, d’une femme désemparée. Et puis, tout à coup, une étincelle dans le brouillard donne envie à Mathilde de se raccrocher à cette enfance. Les souvenirs heureux remontent à la surface, comme un instinct de survie, et, par la grâce de l’écriture, fonctionnent comme une thérapie, pour aboutir à un épilogue lumineux avec cette adresse au lecteur (qui personnellement m’a touchée en plein coeur) : « Permettez-moi aussi de vous adresser une prière : si vous apercevez, en vous ou autour de vous, un enfant, petit ou grand, en manque d’amour, pensez que toute marque d’attention pourrait l’aider à sortir d’un cercle infernal. Juste y penser. Et surtout, n’oubliez pas l’enfant en vous. Aimez-le d’autant plus fort que c’est peut-être lui qui en a le plus besoin ».

La saudade, c’est aussi l’espoir. CQFD.

En partenariat avec les éditions Carnets Nord, que je remercie infiniment de m’avoir contactée pour me proposer ce livre (avec un merci en particulier à Gladys pour le gentil petit mot 😉 )

Présentation par l’éditeur:

« J’aimerais tellement pouvoir appeler Oma et lui poser des questions.
“À quel numéro ?” me demanderais-tu sans doute. Cela fait effectivement plus de trente ans que je n’ai pas pu lui parler. Mais le numéro de téléphone, ce n’est pas un problème. Je le connais encore par cœur. En revanche, il ne me vient à l’esprit qu’en portugais : meia-um-sete-zéro-meia-sete. 617067. Tu vois, j’ai une bonne mémoire. »

À l’aide de lettres adressées à un frère qui ne répond jamais, Mathilde revient sur ses pas, de la Suisse où elle habite aujourd’hui, elle part retrouver le charme de São Paulo, de la chaleur brésilienne, le bruit assourdissant de la trop grande ville qui chante à ses oreilles, avec bonheur. Ce pays où ses grands-parents allemands, fuyant la crise des années 1920, sont arrivés et où elle-même a passé son enfance.

Quand commence la saudade – mot portugais qui exprime une mélancolie empreinte de nostalgie –, ce sentiment qui transforme les souvenirs de Mathilde en regrets ? Mirage de l’enfance ? Déception de l’âge adulte ? Ursula Sila-Gasser nous livre ici un subtil texte sur les illusions et les éternels recommencements de la vie. La saudade devient une musique qui amène au bonheur intime.

Quelques citations:

– …j’ai appris, ces derniers temps, que quand on se sent fragile, il vaut mieux rechercher la compagnie de ceux en qui l’on a confiance…

– Permettez-moi aussi de vous adresser une prière : si vous apercevez, en vous ou autour de vous, un enfant, petit ou grand, en manque d’amour, pensez que toute marque d’attention pourrait l’aider à sortir d’un cercle infernal. Juste y penser. Et surtout, n’oubliez pas l’enfant en vous. Aimez-le d’autant plus fort que c’est peut-être lui qui en a le plus besoin.

Evaluation :

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2 commentaires

  1. Quelle douceur émane de cette critique malgré cette profonde tristesse de l’héroïne et son apparente amertume ! Merci de ce partage, un roman que je lirai avec plaisir.