Voici venu décembre, voici donc l’heure de ma rétrospective/best of 2022. Une année à nouveau remplie de découvertes, que je dois notamment à mes amis de Babelio, aux éditions Métailié, au réseau Netgalley et à ses partenaires éditeurs, à l’actualité, au bouche-à-oreille, au hasard.
A la rubrique francophone (ma langue maternelle), je demande d’abord la Belgique: trois romans et un recueil de nouvelles et un récit poétique sur les terribles inondations de juillet 2021 dans la vallée de la Vesdre figurent parmi mes lectures les plus marquantes de l’année:
– La grande nuit (André-Marcel Adamek – Espace Nord – 1ère édition 2003): dans cette dystopie post-explosion nucléaire, l’auteur ne nous épargne rien des horreurs dont les humains sont capables : stigmatisation, racisme, antisémitisme, instrumentalisation de la religion, mensonge, vol, viol, meurtre, cannibalisme. Sous sa plume souvent glaçante, plus rarement poétique, la solidarité perd du terrain, tandis que l’individualisme et l’intolérance ont l’avenir devant eux. A moins qu’une lueur d’espoir parvienne à percer à travers cette épaisse noirceur… Curieuse résonance avec l’éphémère « monde de demain », que d’aucuns annonçaient au tout début du premier confinement au printemps 2020.
– Les ours n’ont pas de problème de parking (Nicolas Ancion – Pocket – 2009): recueil de neuf nouvelles où il est beaucoup question du monde de l’enfance et de ses tourments. Que cela soit drôle, loufoque, déjanté, surréaliste, cruel, amer ou mélancolique, on est captivés comme des enfants qui écoutent un conte de fées au coin du feu (si ça existe encore). C’est plein de souvenirs, de trouvailles de langage et de candeur, et parfois ça serre le cœur.
– Vesdre (Luc Baba – L’Arbre à Paroles – 2022): « Vesdre » reconstitue la tragédie des inondations de juillet 2021 dans cette vallée liégeoise, par brefs fragments, presque heure par heure. D’une plume douce et ciselée, Luc Baba met des mots sur son ressenti de ces heures angoissantes et dramatiques, fait d’impuissance et de peur. La pudeur, la sobriété et la poésie infinies de ses mots les rendent encore plus déchirants (voir les citations). Un texte magnifique.
– Les tourmentés (Lucas Belvaux – Alma Editeur – 2022): Après dix ans, Skender et Max se retrouvent, et Max présente Skender à « Madame », qui propose à celui-ci un contrat très particulier. Ce qui s’annonçait comme un thriller prend peu à peu des allures de roman psychologique, en plus d’être choral, où l’on se retrouve tour à tour dans la tête de chaque personnage, à partager ses doutes et ses questionnements. Dans une atmosphère floue, ambiguë, tendue, pleine de non-dits, l’auteur aborde les thèmes de la morale et de l’engagement, et des multiples liens qui tiennent les humains entre eux.
– Feel good (Thomas Gunzig – Au Diable Vauvert – 2019): Alice et Tom, deux paumés de la vie, vont se rencontrer, au détour de l’idée, aussi désespérée que rocambolesque, qu’a eue Alice pour devenir riche, et qui va changer leur vie à tous les deux. Cette comédie humaine très réaliste, qui met en scène des personnages qui flirtent constamment avec la précarité, aurait pu être sombre, sinistre, totalement déprimante. Le monde qu’elle donne à voir n’est pas réjouissant, mais l’auteur est un joyeux pessimiste, plein d’empathie et tendresse pour ses personnages, alors il leur donne un grain de folie, d’audace et de force, pour alléger le tout.
A la rubrique francophone toujours, je demande ensuite le reste du monde, avec des incursions en France, au Sénégal et au Cameroun, entre romans, récit et biographie:
– Le ventre de l’Atlantique (Fatou Diome – Editions Anne Carrière – 2003): Entre la France et le Sénégal, il y a l’Atlantique, qui charrie d’une rive à l’autre les rêves d’Eldorado des uns, et les regrets, la honte ou la nostalgie des autres. Roman de l’amère réalité de l’émigration, de la nostalgie du déracinement et de l’impossible retour au « comme avant », « Le ventre de l’Atlantique » montre l’océan d’incompréhension qui advient entre ceux qui partent et ceux qui restent, ceux qui échouent en exil sans oser l’avouer ou même rentrer au pays, et ceux du pays, impatients de partir, persuadés de réussir dans cet Ailleurs où l’herbe (surtout celle des terrains de foot) est nécessairement plus verte.
– Le front russe (Jean-Claude Lalumière – Le Dilettante – 2010): Un jeune homme ambitieux et naïf monte à Paris pour prendre son tout nouveau poste au Ministère des Affaires Etrangères. Il est affecté au « bureau des pays en voie de création – section Europe de l’Est et Sibérie », autrement dit « le front russe ». Burlesque et désespérant, ce roman n’est pas une « bête » caricature sur le dos des fonctionnaires. C’est bien plus fin et subtil que ça, et cette satire vise surtout une certaine Administration sclérosée et sa plus grande force, à savoir sa force d’inertie, qui parfois bride, décourage et fige les plus motivés et/ou honnêtes, ce qui est d’autant plus regrettable que l’on se prétend en charge de l’intérêt général. Cynique et jouissif.
– De purs hommes (Mohamed Mbougar Sarr – Editions Philippe Rey – 2018): Ndéné Gueye est un jeune professeur de littérature française à l’université de Dakar, découragé par l’inertie de ses collègues et le désintérêt de ses étudiants. Obsédé par une vidéo virale montrant des hommes exaltés occupés à déterrer le cadavre d’un jeune homme et à le traîner ensuite pour le laisser pourrir hors du cimetière, il s’interroge, se révolte, et finit par se renseigner sur ce jeune homme, son histoire, sa famille, en même temps qu’il prend réellement conscience de la situation critique des homosexuels au Sénégal. Un roman très sensuel, puissant, à la fois plein de colère et de compassion, sur la difficulté, dans un tel contexte, de choisir entre sa communauté et sa conscience, et plus largement, sur les questions essentielles, existentielles, de l’identité, de la liberté d’être soi-même et du courage de s’assumer tel que l’on est.
– Stardust (Léonora Miano – Grasset – 2022): plus de 20 ans après les faits, Léonora Miano nous livre le récit d’une période particulièrement difficile de sa vie, à savoir les quelques mois qu’elle a passés, alors qu’elle avait 23 ans et un enfant en bas-âge, dans un centre de réinsertion et d’hébergement d’urgence à Paris. Au travers de son histoire personnelle, elle braque la lumière sur les promesses déçues de la migration et sur un aspect peu reluisant de nos sociétés, coupables d’abandonner à leur sort des êtres humains précarisés, et qui s’en dédouanent avec quelques ridicules sparadraps socio-administratifs sur des bataillons de jambes de bois. Un livre nécessaire.
– Par-delà l’attente (Julia Minkowski – J.-C. Lattès – 2022): 29 septembre 1933, Cour d’assises du Mans, Me Germaine Brière, 36 ans, attend le verdict dans le procès des sœurs Papin. Avocate de l’aînée des sœurs, elle attend anxieusement, doutant a posteriori de sa stratégie, par moments certaine d’avoir convaincu les jurés, à d’autres persuadée d’avoir échoué. La vie de sa cliente est en jeu, mais sa propre réputation aussi : le triomphe et les honneurs, ou la honte et l’échec impardonnable pour une femme dans ce milieu encore presque exclusivement masculin. Elle se remémore son parcours, de ses études à Paris à sa carrière vouée à défendre les gens de peu dans un milieu de notables, en passant par son inscription, obtenue de haute lutte, au barreau du Mans. Un parcours semé d’embûches, dans une profession où « être femme était déjà en soi une transgression ». Un texte fluide et agréable qui (re)met en lumière une femme de convictions, pionnière dans la féminisation de la Justice.
Et puis il y a mon autre langue maternelle, l’espagnol (et son cousin portugais: cinq romans en provenance d’Espagne, d’Argentine, du Brésil, du Mexique et d’Uruguay, tous lus en français:
– Hôtel Lebac (Carlos Caillabet – Editions Baromètre – 2022): Roman initiatique, « Hôtel Lebac » raconte une année dans la vie d’un adolescent en route vers l’âge adulte, dans le Montevideo des années 60. Un passage qui n’est pas sans difficultés, fait d’arrachements et de désillusions. A la fois chronique sociale douce-amère et galerie de portraits savoureux, ce roman est tendre et lucide, très drôle par moments, porté par une plume toute en sobriété, simple mais addictive.
– Supermarché (José Falero – Métailié – 2022): A Porto Alegre, Pedro et Marques, deux jeunes hommes issus des favelas, travaillent comme rayonnistes dans un supermarché. Leur travail sous-payé ne permet pas à ces esclaves post-modernes d’espérer autre chose que de gagner tout juste de quoi se nourrir. Mais Pedro a un plan pour sortir de cette pauvreté crasse. Un roman truculent et plein d’humour, mais qui fait cependant rire jaune, parce qu’il projette une lumière crue et impitoyable sur la misère et la violence des favelas brésiliennes, et plus largement sur les inégalités sociales et économiques et la corruption endémique au Brésil.
– Paradaïze (Fernanda Melchor – Grasset – 2022): A Paradise, lotissement résidentiel mexicain chic et cher, deux adolescents se rencontrent, l’un est un gosse de riches, l’autre est pauvre et travaille comme jardinier à la résidence. Au fil des soirs d’ennui et de frustration, les deux gamins font connaissance et partagent alcool et cigarettes, avant de se lancer dans un plan délirant censé apporter du sexe à l’un et du fric à l’autre. Avec le machisme et le fossé entre classes sociales comme toiles de fond, « Paradaïze » est une histoire de descente aux enfers et un roman violent, tragique et saisissant.
– Un amour (Sara Mesa – Grasset – 2022): Natalia, jeune trentenaire, a décidé de changer de vie. Elle a quitté sa ville et son boulot de traductrice en entreprise pour s’installer dans une petite localité isolée de l’Espagne profonde, pour se consacrer à sa carrière de traductrice littéraire. Ce qui devait être un renouveau pour la jeune femme s’avère être une lente descente dans un puits sans fond de doutes existentiels et de solitude, au point de fantasmer sa relation avec un des hommes du village et d’y perdre sa dignité et, inévitablement, d’en souffrir. Sur les thèmes de la solitude, de la manipulation, des faux-semblants, de l’incommunicabilité, des choix de vie et du respect des autres et de soi-même, « Un amour » est un roman ambigu, rude et captivant.
– Les vilaines (Camila Sosa Villada – Métailié – 2021): « Etre trans est une fête », clament les femmes de ce roman, arrogantes, à la face du Destin et du monde. Et parfois elles font vraiment la fête, s’amusent comme des gamines, oublient leur drame et la violence dans la danse, l’alcool ou la drogue ; parfois même dans l’amour – le Vrai. Mais parfois la fête se termine mal, il y a le sida, les agressions, les overdoses, le désespoir. C’est cet univers trouble que nous dévoile Camila Sosa Villada, elle-même ancienne prostituée, dans ce récit qui prend des allures de conte parfois féerique parfois horrifique, imprégné de réalisme magique. C’est aussi un cri de rage, un manifeste, une tribune, un portrait, un chœur, un hommage, un chant d’amour douloureux et solitaire. C’est cru, c’est trash, furieux, sordide, digne, sensible, flamboyant, lumineux, sensuel, passionné, puissant. Entre joie et souffrance, tendresse et âpreté, c’est une histoire de sororité bourrée d’authenticité et d’humanité.
Arrêtons-nous maintenant dan ma bibliothèque anglophone, avec trois romans d’auteurs américains, un roman qui nous emmène en Ecosse et un autre au Nigéria, tous lus en français :
– L’hibiscus pourpre (Chimamanda Ngozi Adichie – Gallimard – 2016): « L’hibiscus pourpre » est un roman tout en contrastes. Ceux d’un pays, tendu entre riches et pauvres, puissants et anonymes, catholicisme et religion traditionnelle, percée démocratique, corruption et dictature militaire. Ceux d’un homme, à la fois admirable pour son courage et sa générosité, et haïssable pour ce qu’il fait subir à ses proches à l’abri des regards. Ce premier roman de l’auteure est un roman d’apprentissage et d’émancipation, sur fond de violences domestiques, d’intolérance religieuse et de tensions politiques. Un roman dont les personnages sont attachants et psychologiquement très convaincants, et qui dresse aussi un portrait du Nigeria, de son instabilité chronique, de sa culture et de ses traditions. Intéressant, beau et touchant.
– Le cœur de l’hiver (Dominic Cooper – Métailié – 2006): Sur une petite île dépeuplée d’Ecosse, Alasdair Mor vit dans la petite ferme familiale. Il vit seul, au rythme des saisons, il n’est ni heureux ni malheureux, il vit, c’est tout, parfaitement intégré dans son environnement, en accord avec une Nature qu’il respecte et aime du plus pur amour, celui qui ne cherche jamais à dominer. L’osmose est irrémédiablement rompue quand un couple d’étrangers s’installe dans une ferme des environs. « Le cœur de l’hiver » est un roman lyrique et poétique, douloureux et désespérant, qui se déroule dans une atmosphère de bout du monde, puis de fin du monde quand advient l’intrusion malfaisante. Un roman d’une beauté sombre et poignante.
– Le lâche (Jarred McGinnis – Métailié – 2022): A 26 ans, Jarred est victime d’un terrible accident de voiture qui le prive de l’usage de ses jambes et le cloue dans un fauteuil roulant, et qui coûte également la vie à une jeune femme. Un roman qui explore le thème de la reconstruction, celle d’un homme qui doit apprendre à vivre avec son handicap, et celle d’une relation père-fils. Entre passé et présent, le récit passe de la révolte et la colère au désespoir, de la frustration à la réconciliation, du fatalisme à la résilience, révélant peu à peu les petites lâchetés et les failles béantes des protagonistes, les unes expliquant peut-être les autres, ou inversement. Un très bon premier roman.
– La femme d’en haut (Claire Messud – Gallimard – 2014): « La femme d’en haut » raconte un épisode de la vie d’une femme en colère, contre elle-même et le monde entier, et qui, arrivée à la moitié de son existence, est persuadée d’avoir gâché sa vie, et qui attend désespérément de vivre dans et par le regard et la reconnaissance des autres. A-t-elle raison de penser qu’on n’existe qu’à travers les autres ? Sans doute pas. Question complexe. Mais difficile de penser autrement quand on se considère totalement transparent. Et le plus important : savoir si on a encore assez d’énergie ou de colère en soi pour réagir et se révolter. Sur les thèmes de la solitude, des espoirs fous et des frustrations et désillusions proportionnellement cruelles, du cynisme du monde de l’art, et surtout de la définition d’une vie réussie ou au minimum satisfaisante, « La femme d’en haut » est un roman cruel, interpellant et même bouleversant.
– L’odyssée de Sven (Nathaniel Ian Miller – Buchet-Chastel – 2022): Stockholm, 1916. Le jeune Sven se morfond dans sa vie étriquée et son travail sans intérêt. Sven se lance alors dans l’aventure polaire et devient mineur au Spitzberg, dans l’océan Arctique. Défiguré dans un accident, il décide de partir encore plus loin, vers le Grand Nord, dans un fjord isolé, où il deviendra trappeur, tant bien que mal, dans la solitude et le dénuement, dans une Nature aussi grandiose qu’hostile. Ce très beau roman, bourré d’ironie, m’a emballée, touchée, parce qu’il parle de solitude, d’acceptation de soi, de poursuite d’idéal ou de rêve, même d’amour, mais surtout de liens d’amitié, la vraie, la profonde, l’authentique, celle qui résiste au temps et à la distance et vous raccroche à la vie. Et tout cela raconté d’une très belle plume, fluide et addictive, qui décrit à merveille les paysages grandioses et qui rend les personnages terriblement attachants.
Une sélection de livres classés « non-fiction », où il est question d’Afghanistan, de Tasmanie, des pays du Golfe, de Galice et de Bolivie, de conditions de travail épouvantables, de trafic de drogue, de droits fondamentaux et de libertés individuelles:
– Fariña (Nacho Carretero – Le Cherche Midi – 2022): Fariña, farine en galicien, l’autre nom donné à la cocaïne dans ce bout d’Espagne collé à la frontière nord du Portugal. Ce livre aurait pu être sous-titré « une histoire du trafic de drogue en Galice, des origines à nos jours ». Paru en Espagne en 2015, le livre fut brièvement interdit de publication en 2018 après une action judiciaire intentée par un édile local qui y était mis en cause, ce qui montre l’épaisseur de la fange remuée par le bouquin. Une histoire qui malheureusement semble loin d’être terminée.
– Les esclaves de l’homme-pétrole (Sebastian Castelier & Quentin Müller – Marchialy – 2022): Une enquête centrée sur le Qatar et sa « Zone industrielle » où les travailleurs sont parqués dans des « logements » indécents, mais qui balaie un spectre plus large, qui s’étend à toute la zone du Golfe, et à toutes les catégories de travailleurs (hommes, femmes, secteurs de la construction, de la sécurité, du petit commerce, du travail domestique et même celui de la chair à canon dans des guerres sales, en Lybie par exemple), et qui va jusque dans les pays d’origine des migrants, pour comprendre les raisons de leur départ. Une enquête menée dans des conditions logistiques compliquées et dangereuses, sans compter les risques pris pour leur propre sécurité et surtout celle de leurs fixeurs locaux et des personnes interrogées dans les différents pays du Golfe. Cet ouvrage est un document nécessaire, qui fait prendre conscience que cet esclavagisme moderne va bien au-delà d’une question d’offre et de demande de travail.
– Nanette en dix étapes (Hannah Gadsby – Les Escales – 2022): Hannah Gadsby est née en 1978 dans une petite ville isolée de Tasmanie. Humoriste queer, sa notoriété a acquis une dimension internationale en 2018, lorsque Netflix a diffusé son spectacle « Nanette ». Ce livre retrace en quelque sorte la genèse du spectacle, indissociable du parcours de vie de Hannah Gadsby. Avec un certain détachement qui rend le texte encore plus poignant, elle nous raconte son parcours de vie difficile, ses fragilités, ses traumatismes, ses combats, sa tendresse pour sa famille, sa relation épique avec sa mère. Un livre profondément sincère et émouvant.
– Potosí (Ander Izagirre – Editions Baromètre – 2022): A plus de 4000m d’altitude, Potosí e se trouve en Bolivie, au pied du Cerro Rico (le Mont Riche), une montagne riche en filons d’argent et d’étain, exploitée depuis la colonisation espagnole au 16ème siècle. « Potosí » n’est pas seulement un reportage sur les conditions de vie précaires des mineurs du Cerro Rico, c’est aussi une enquête qui remonte l’histoire à partir de la découverte du précieux filon au 16ème siècle, à la recherche des origines de ces conditions. Un récit bouleversant, choquant, rageant, nécessaire.
– Danser dans la mosquée (Homeira Qaderi – Julliard – 2022): Homeira naît en Afghanistan en 1980, dans une famille aimante, cultivée et relativement libérale. Mais la vie, ou la survie, est difficile. L’occupation soviétique, puis la guerre civile, puis la première prise de pouvoir des talibans n’ont fait que brider de plus en plus cruellement les libertés, en particulier celles des femmes et des jeunes filles. Le livre retrace le parcours de son auteure, de l’Afghanistan aux Etats-Unis en passant par l’Iran, et s’achève au moment du retour des talibans à Kaboul en août 2021. Parce qu’à l’heure actuelle, pour les Afghans, lire un livre autre que le Coran est un crime puni de mort, et que je peux lire, moi, bien tranquille dans mon salon ou dans le tram, je tiens à vous en parler et vous inciter à faire de même, pour ne pas oublier les femmes afghanes, ni que la liberté est une lutte de chaque instant, même dans nos petits pays confortables.
Last but not least, le coup de cœur de l’année, qui n’appartient à aucune des catégories précédentes, un roman-fleuve islandais:
– Ton absence n’est que ténèbres (Jón Kalman Stefánsson – Grasset – 2022): Un brin onirique et très nostalgique, ce roman raconte avec un souffle impressionnant des histoires d’amour sublimes et questionne les thèmes de la mémoire, de la transmission et des choix (ou de l’absence de choix) qui déterminent une vie (« On doit toujours choisir de deux choses l’une, mais qu’importe celle que vous choisissez, cela créera toujours un trou noir quelque part. Dans ce cas, comment vivre? »). Un de ces rares romans dans les phrases duquel on a envie de s’enrouler tellement l’histoire et l’écriture sont belles, dont on n’a pas envie de sortir tellement on s’y sent bien même si on est heureux et triste en même temps. Coup de cœur pour ce livre ambitieux, lumineux, déchirant, bouleversant, magnifique.